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  • Photo du rédacteurMarie-France Lesage

Une journée à Téhéran 2018

























Avec une étonnante synchronisation, l’avion sort son train d’atterrissage

et les femmes leur foulard.

L’année dernière, notre premier contact en Iran avait été noué grâce

à des réfugiés rencontrés en Belgique, au centre de la Croix Rouge de Rendeux.

Une heure à papoter autour de la tarte aux pommes que Didier a amenée comme

pour une visite à Mamy et, miracle de WhatsApp, leur fille ainée scolarisée depuis huit mois en français, nous explique que sa tante nous logera à Téhéran.



























Cette fois, Parvin, une autre tante, nous attend dans l’aéroport.

C’est une petite femme énergique de cinquante-quatre ans qui parle correctement l’anglais et suit des études de tourisme à l’université de Téhéran.

Il est cinq heures trente du matin. Dans le parking, nous saluons Moshem, son mari, chargeons les bagages dans leur 4X4 et filons vers la capitale.

C’est Parvin qui conduit gantée de blanc comme un chauffeur de maître.
















Seize mois plus tôt, nous avions fait le chemin inverse, entassés à sept dans une camionnette.

Nos hôtes iraniens nous raccompagnaient en chantant à tue-tête .

C’était la nuit du dernier mardi avant Norouz, le nouvel an iranien qui tombe le 21 mars.

Dans la soirée, nous avions fêté Chaharshanbe Suri, la Fête du Feu dont l’origine,

comme Norouz, remonte au zoroastrisme, la première religion monothéiste vieille

de trois millénaires. Nous avions sauté au-dessus des feux allumés dans la rue

afin d’assurer la chance pour l’année à venir, dansé sur la musique qui s’échappait

des fenêtres et regardé les feux d’artifice qui explosaient dans le ciel

au milieu des lanternes de papier.


Dès notre arrivée dans le spacieux appartement, Moshem nous concocte

une omelette aux tomates et son délicieux chaï pendant que Parvin prépare notre chambre.

Ils vont nous servir de guides pour visiter le Nord du pays.

Nous partons sans programme établi, si ce n’est de reprendre l’avion à Tbilissi dans trois semaines.






















Après quatre heures de sommeil, sur un futon ténu, nous rejoignons le centre de Téhéran.

Sans préméditation, nous arrivons le jour d’Ashoura, commémoration par les chiites

de la mort de Hussein, le petit-fils de Mahomet, massacré avec une septantaine

de membres de sa famille et de partisans à Kerbala en Irak.

Des ribambelles de drapeaux noirs surplombent la ville. Tous les magasins sont fermés; seuls restent ouverts les kiosques à fleurs.

Il y a foule.

La couleur noire domine; quelques hommes en chemise claire dénotent.

Des femmes, assises à même le sol, cuisinent sur des réchauds et distribuent

gratuitement leur préparation.


















Partout des aubettes où des hommes offrent de l’orangeade ou du thé agrémenté

de sucre filé aromatisé à la rose.




























Un homme est à genoux au milieu de la rue, un plateau sur la tête, rempli de dattes farcies qu’il présente à qui en veut.



















Un cortège avance au centre de la rue, un cavalier, symbolisant le frère d’Hussein

sort de la mosquée, un autre homme, au carrefour de deux ruelles dans le bazar,

chante, psalmodie et entraîne la foule qui, les larmes aux yeux, répond et scande

le nom de Hussein.

Il y a une vrai ferveur religieuse mais aussi une ambiance de ducasse.

Certains pleurent, d’autres filment ou photographient. Nous shootons en toute liberté.































Nous retrouverons les mêmes processions, le lendemain, vendredi, à Qazvin.

Là, le cortège est protégé par des barrières Nadar. Chaque quartier arbore son oriflamme dont certains pèsent jusqu’à trois cent kilos - ils peuvent s’élargir sur quatre mètres -

des morceaux de tissus pliés, suspendus sur toute la longueur sont surmontés de sculptures métalliques et de plumes colorées.



















Des hommes pieds nus, un fouet de chaîne métallique dans chaque main, se flagellent

les épaules, balançant alternativement le corps du pied droit sur le gauche

dans une danse rythmée par les chants psalmodiés. Des Mollahs et des Imams

se frappent le coeur de la main droite avec la régularité d’un métronome.

Ils sont suivis de fanfares avec cuivres, tambours et trompettes ou de sonos sur des pick up.

















Et toujours pour clôturer le groupe, des enfants et des femmes drapées de noir.




























Soudain la marche s’interrompt, c’est l’heure de la prière.

Pendant que la foule continue à bouger, papoter et prendre des selfies,

les plus religieux s’agenouillent dans la rue.

















Les touristes sont rares et les spectateurs curieux de connaître notre avis sur la cérémonie.

Sur le tarmac, sèche le sang d’un mouton que l’on vient d’égorger.


En fin d’après-midi, nous quittons le centre de la ville réservé aux cérémonies et aux piétons pour retrouver le trafic et la pollution de Téhéran et rentrer à l’appartement.



























Pendant deux semaines, nous visiterons Rasht, Massouleh. `

Nous trainerons sur les plages de la Mer Caspienne.

Nous shooterons les cygnes-pédalos, témoins pétrifiés de l’assèchement du lac salé d’Ouroumieh.

Nous prendrons les eaux dans la station thermale de Sareen : pour les hommes

dans un bassin ancestral d’où sourd l’eau chaude, pour les femmes dans un jolie piscine

de mosaïque crème et saumon, encerclées de naïades plantureuses, vêtues de maillots roses, fleuris ou tigrés, toutes curieuses de connaitre mon origine.

Nous paresserons dans le Jungle Park en regardant les canots dériver sur l’eau verdâtre, couverte de lentilles, entre les troncs submergés des pins et des bouleaux.

A Zanjan, nous nous étonnerons devant l’immense fontaine dont l’eau rouge symbolise

le sang des martyrs.

A Sultaniyeh, nous préfèrerons la chambre avec prises électriques plutôt que celle avec le lit,

tout simplement pour pouvoir recharger nos appareils!

A Shar yeri, nous découvrirons d’étonnants menhirs.




























A Tabriz, nous prendrons le car de nuit pour Erevan après quelques nuitées

dans le superbe appartement quatre façades du neveu de Parvin, situé au sixième étage d’un building, construit à l’emplacement d’une ancienne propriété avec jardin.

Depuis dix ans, ces dernières sont détruites et remplacées par des immeubles,

perturbant le paysage et le mode de vie. Les Tabrizis nous narreront leur quotidien,

leur fille qui étudie la médecine à Kharkov en Ukraine, leurs voyages et les difficultés économiques et financières qui affectent de plus en plus le pays.


























Durant notre périple, Parvin qui décidément conduit comme un kamikaze aura l’art de nous surprendre en dégotant et marchandant pour quelques rials des logements chez l’habitant : d’immenses appartements uniquement meublés d’une cuisine équipée, parfois décorés

d’un coucou suisse ou d’une télévision, sans lits mais au sol couvert de tapis sur lesquels nous dormirons et prendrons les repas, assis autour d’une feuille de plastic à l’effigie

de Bob l’éponge. Elle nous trouvera également des chambres à l’étage d’une vieille ferme,

d’où nous partirons avec les trois soeurs, propriétaires, dans la boue, les bouses

et l’obscurité dire bonjour à tous les voisins à la ronde, avant de terminer la soirée,

assis sur le four à pain dégustant le lavash au fur et à mesure de sa cuisson et en écoutant les femmes chanter. Le matin, nous quitterons ces charmantes hôtesses en passant

sous le Coran, l’une d’elles, récitant une prière, nous éclaboussera de quelques gouttes d’eau, contenue dans un bol où flottent des pétales de fleurs.
























Les Iraniens adorent camper et pique-niquer, Parvin ne déroge pas à la règle

et voyage avec tout le nécessaire; elle nous offre du thé chaud, des biscuits,

des dattes à toutes heures du jour ou de la nuit, servis sur tapis, nappe, serviettes

et tutti quanti avant de s’échapper discrètement pour aller prier, nous laissant discuter

avec le premier quidam venu que nous attirons comme des mouches,
















Le trafic est anarchique. Au pays des génies, Parvin en est un pour louper l’autoroute

et prendre la nationale. L’orientation et l’organisation n’étant pas son fort, nous ratons

de nombreuses visites de sites connus. A l’inverse, elle s’arrête partout où nous le désirons,

s’invite pour le thé dans un jardin privé où nous passons un agréable après-midi

et sortons les bras remplis de tomates et de fruits tout juste lavés dans le qanat

- ces canaux qui irriguent tout le pays - nous prépare de superbes petits déjeuners

avec du miel local, des koulouches - délicieux petits pains chauds à la cannelle -

et elle nous fait gouter à toutes les spécialités.















Pour l’heure, nous terminons notre première journée et rentrons à l’appartement.

Dès la porte franchie, les femmes ôtent leur hidjab excepté Parvin, qui très religieuse respecte les préceptes et ne l’enlèvera jamais devant un homme qui n’est pas de son sang. Que Didier sorte et elle n’hésitera pas à l’ôter.

Parvin a la religion pratique, elle dialogue avec Dieu comme avec un vieil ami,

le remerciant quand elle retrouve son sac oublié dans un parc deux heures plus tôt,

quand elle démoli l’aile gauche de son véhicule, quand sa fille sort indemne d’un accident

ou quand elle casse son mobile et le fait réparer pour un prix dérisoire.

Le soir, Moshem est de nouveau devant le fourneau, préparant une spécialité de Tabriz. Pendant ce temps, nous nous reposons dans de moelleux fauteuils en discutant avec Fatimeh la fille de la voisine, venue expressément pratiquer son français avec nous:

« Elle adore la France, les Français, Paris ». Elle a vingt deux ans et est mariée

depuis six ans. Elle a deux enfants et son mari est orfèvre au bazar.

Elle est excitée comme une adolescente par notre rencontre.

Toute la famille défile pour nous saluer.

Pas besoin de couronnes pour nous sentir les rois de la journée.





























Iran - sept. 2018

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