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Photo du rédacteurMarie-France Lesage

Lettre à Cosimo - Mon journal du Covid 19

Dernière mise à jour : 31 déc. 2020


Aujourd'hui, le ciel nous est tombé sur la tête.

Cosimo, tu as vingt mois et quand tu auras soixante ans comme moi, tu ne te souviendras plus du scénario de science-fiction dans lequel nous venons d’entrer.

Vendredi 13 mars 2020 :

Le coup de semonce vient de retentir. A cause de l'augmentation des cas de Covid 19 en Belgique, nous serons confinés à la maison à partir de minuit. Les écoles, restaurants, cafés et discothèques doivent fermer jusqu’au 3 avril.

Incrédules et pour marquer le coup, nous sommes encore aller manger au restaurant avec Emilie et Olivier.

Dans ma maison d’hôtes, au bord de l'Aisne, les hôtes du W.E. se sont désistés et les annulations arrivent en cascade pour les prochains jours.

Dimanche 15 mars :

Tu es chez nous, à la campagne, avec tes cousins, pendant qu'à Liège, ta maman repeint la cage d’escalier. Le soir, vos parents sont venus vous chercher. Olivier aurait préféré s’abstenir. C’est la dernière fois que l’on vous voit avant longtemps. Ce matin, Mamy Jo, nonante ans, a encore été sur le marché alors que je lui avait recommandé de ne pas le faire car le coronavirus attaquerait de préférence les personnes âgées.

Lundi 16 mars :

Géraldine, ta maman, Visual manager chez H&M, a été travailler comme d’habitude. Très peu de clients : des retraités et des adolescentes en goguette. Manuel, ton papa, professeur déjà écarté, a préféré ne pas te mettre à la crèche. Nous te gardions chaque mardi, ton absence, demain et les autres semaines va nous peser.

Sentant les mesures de confinement se durcir, Didier court dans les magasins pour faire du stock alimentaire et de la peinture pour nous occuper.

Comme le soleil brille et que je n’ai pas de clients, je sors mon vélo de sa léthargie hivernale.

Que ce soit à la radio, à la télé ou dans les journaux, on nous exhorte à nous laver régulièrement les mains.



Mardi 17 mars :

Les hôtes du W.E. prochain se décommandent mais les hôtels peuvent toujours ouvrir; nous sentons que le confinement pourrait durer plus de trois semaines. Je ne sais pas quand je pourrai à nouveau travailler. Je n’ai plus aucun revenu. Heureusement Didier touche sa pension et rester à la maison, nous fera moins dépenser.

Ta tante Emilie, la fleuriste, a été acheter quelques fleurs chez son grossiste, il reste à celui-ci un stock incroyable de plantes fleuries. Ses deux employées, travaillent toujours. Normalement, elles n’ont pas droit au chômage technique que pourrait revendiquer une ouvrière.

Je nettoie les salles de bain des chambres d’hôtes, pour le reste cela attendra car je ne sais pas quand les clients reviendront. Les annulations continuent jusqu’au mois de mai.

Je profite encore du beau temps, et pars pour 25km à vélo.

L’UEFA a annoncé le report du championnat d’Europe de football qui devait commencer le 12 juin. Le championnat de foot est suspendu, ainsi que toutes les réunions sportives de ce printemps. Les réunions publiques et privées sont interdites, plus de messes, mariages et les enterrements se font en cercle restreint.

Mercredi 18 mars :

Tous les magasins non alimentaires doivent fermer à midi. Emilie soldent toutes ses plantes fleuries et les clients se précipitent en un dernier rush. Ses employées peuvent profiter du chômage. En touchant 70% de son salaire et Gabriel qui ne va plus à la crèche, Pauline n’est pas mécontente de rester chez elle.

Les cours que Didier donnent aux réfugiés avec l’ASBL du Miroir Vagabond sont suspendus.

Les châssis de la véranda devaient être repeints depuis deux ans et nous nous y attelons toute la journée. La pluie interminable des dernières semaines s’est interrompue et le soleil brille.

Jeudi 19 mars :

Géraldine et Emilie sont confinées chez elle avec leur famille. Elles s’organisent pour donner cours le matin et laisser jouer les enfants l’après-midi. Elles cuisinent, dessinent et redécouvrent les joies de la vie de famille.

La nouvelle vient de tomber, tous les hébergements touristiques, gîtes, campings, chambres d’hôtes doivent fermer et les touristes rentrer chez eux. On ne peut plus rejoindre sa seconde résidence.

Vendredi 20 mars :

Tous les matins nous trainons au lit, dans neuf mois, il risque d’y avoir un baby boom! Déjeuner avec le journal et nouvelles du jour : les bus affichent complet dès qu’ils ont chargé cinq passagers, les gens se ruent sur le papier W.C. alors que le covid 19 s’attrape par la bouche et non par le cul!,

Fabian, mon filleul, chirurgien, a annulé tous ses rendez-vous et opérations comme tous les médecins de l’hôpital d’Arlon. Ils se tiennent prêt à recevoir les malades. La Province de Luxembourg est plus épargnée que d’autres. Il est très inquiet car ils n’ont pas de stock de masques de protection et le virus s’attrape via les postillons.

De nouvelles habitudes s’installent comme « l’heure solidaire » - tous les jours à vingt heures, les gens sortent sur leur balcon pour applaudir le corps médical qui d’après les prévisions devrait affronter un afflux de malades ce W.E. et la semaine prochaine. Ici, à la campagne, les gens restent chez eux, jardinent, se baladent en solitaire ou partent à vélo.

Au lever, nous avons pour habitude de lire le journal « Le Soir »; à présent, nous regardons aussi le journal télévisé. Les infos tournent autour du coronavirus : comment la situation évolue au niveau mondial, comment les gens s’occupent, comment cinq millions de masques venant enfin d’arriver de Chine sont escortés par la Protection Civile et la Police jusque dans les casernes où ils seront distribués sous haute protection. Les frontières sont fermées et les Hollandais priés de rentrer chez eux. De nombreux faisaient encore la java dans les gîtes. Chez eux, comme au Royaume-Uni, le confinement n’est pas obligatoire.

Samedi 21 mars :

C’est le printemps!

L’ouverture de la pêche est annulée et reportée sine die. Aucune voiture ne passe, j’ai nettoyé ma salle de bain à fond et lavé les rideaux de ma chambre. Ce sont des gestes qui m’occupent. L’après-midi, je fais mes deux mots croisés et le sudoku de mon quotidien puis une part de Rummikub avec Didier avant de partir pour une balade à la recherche d’un nouveau Pouhon (mot wallon donné aux sources d’eau ferrugineuse ).



Fagne du Pouhon

Ce matin, j’ai téléphoné à mon amie Pascale, elle vit seule et, pour elle, le confinement doit être plus difficile que pour nous deux. Elle ne part plus à vélo, de peur de tomber et d’encombrer les urgences; ça situe le taux d’angoisse général et les recommandations que l’on nous prodigue.

Nous communiquons via WhatsApp avec la famille et les amis. C’est la première fois que l’on utilise cette facilité qui nous permet de parler à plusieurs sur l’écran.

Les Anglais ont enfin fermé leurs pubs. C’est étonnant, ce qu’une dictature n’arriverait pas à faire, le virus l’a imposé. Tout le monde chez soi et pour des semaines. Heureusement, nous habitons la campagne et pouvons encore nous balader, pas à plus de deux personnes ou en famille vivant sous le même toit. Pas question d’aller manger chez des amis ou chez les enfants. Nous pouvons juste sortir, seul, pour faire les courses.

La terre jouit d’un repos bien mérité, la consommation d’énergie diminue, les poissons réapparaissent dans la lagune de Venise et les dauphins dans le port de Cagliari, ville de Sardaigne désertée par les ferrys. Nonante pour cent des vols aériens sont annulés et quand tous les ressortissants belges seront rentrés au pays, Bruxelles National risque bien de fermer.

Il y a tout juste un mois, nous partions pour une semaine, en famille, en Angleterre.



Le premier cas de coronavirus était détecté en Europe, en Italie et cela nous semblait loin de nous. Quatre semaines après nous voilà tous confinés et le taux de mortalité en Italie est ahurissant, les hôpitaux sont débordés et certaines personnes continuent à ne pas respecter les consignes, accentuant désespérément cette situation. Les infos du soir signalent plus de huit cents morts dus au virus, en Italie.

Dimanche 22 mars :

Comme tous les jours se ressemblent et pour marquer le dimanche, nous avons décidé de ne rien faire aujourd’hui. Nous nous levons à 9h55, du jamais vu, et déjeunons en lisant les règles du gin-rami que j’ai toujours voulu apprendre. Merci Rose Tremain pour son roman « La sonate de Gustav » qui m’a donné envie d’apprendre ce jeu de cartes. Nous n’écoutons jamais d’info à la radio mais de la musique en continu sur Deezer. Didier lit son journal sur internet et me commente les infos récentes les plus importantes. Le soleil luit, le ciel est d’un bleu d’azur, c’est un beau temps pour flâner sur les terrasses sauf que tout est fermé. A Durbuy, les rats en profitent pour ressortir dans les rues désertes.

Nous vivons une vie de patachon, vélo, lecture puis apéro-gin avec une première partie de gin-rami qui s’avère être une jeu intéressant.

A 19h30, journal télévisé, la seule lucarne qui nous relie au monde. Tous nos cercles ont volé en éclats : les hôtes, la famille, les amis, les voisins bien que l’on discute avec ses derniers d’un côté à l’autre de la route et que l’on se téléphone ou s’écrit avec les autres pour prendre des nouvelles.

Lundi 23 mars :

Je quitte enfin la maison en voiture pour aller faire des courses; la pharmacienne est toujours aussi charmante et aucun garde n’empêche les clients d’entrer dans le Delhaize.

En Italie ou l’épidémie s’est déclarée dés le 27 janvier 2020, c’est la tragédie. Un médecin supplie de tout fermer. Un appel impensable il y a encore quelques semaines dans un pays ouvert et libéral. L’Italie a dépassé la chine pour le nombre de morts, 3.456. Le taux de létalité est de 12,1% alors qu’il était de 5,8 à Wuhan, la ville chinoise la plus touchée. Une quinzaine de médecins italiens sont déjà décédés des suites de la contagion au virus. Les gens meurent et sont enterrés seuls, sans le réconfort de la famille ou de la religion. C’est un cortège de corbillards et de camions militaires à l’entrée des cimetières.

En Belgique, il y a de plus en plus d’admissions aux soins intensifs et les urgentistes se plaignent de ne pas avoir suffisamment de masques adéquats. Surtout les modèles chirurgicaux FFP2 et FFP3. Le manque de test sur la population est également montré du doigt.

En Europe, malgré des approches différentes par pays pour contrer le virus, on découvre des taux de mortalité très similaires. Les Hollandais qui laissaient toute liberté à leurs nationaux font maintenant face à de nombreux décès et viennent de fixer le confinement jusqu’au 1er juin. Dire qu’il y a encore quelques jours, ils faisaient encore la bringue dans nos gîtes et se pointaient en groupe dans les magasins, ignorant les recommandations d’y pénétrer seul et sans enfant.

Ma boîte mail est au repos; les quelques messages qui arrivent encore se clôturent toujours par la formule : «Prenez bien soin de vous et de vos proches ! «

Les écoles ne rouvriront certainement pas avant les grandes vacances. Hier, un économiste conseillait de supprimer ces dernières et de donner cours pendant les mois de juillet et d' août. L’aéroport de Charleroi fermera ce mardi à minuit et il reste moins de 5% de vol à Bruxelles National.

Les coiffeurs sont toujours ouverts au public. Ils estiment le danger trop grand et exigent des autorités l’ordre de fermer tous les salons.

La distillerie de Charleroi et la sucrerie de Tirlemont ont adapté leurs outils et se lancent dans la fabrication de gel désinfectant pour la Police, la Protection Civile etc…

Les universités ne reprendront pas leur cours avant le 30 juin; en attendant, ceux-ci sont donnés en ligne.

Mardi 24 mars :

J’ai dormi onze heures. C’est presque indécent quand je sais que dans les hôpitaux, le personnel se démène dans des conditions de travail inhumaines. Le monde se scinde en deux groupes : ceux qui protègent et ceux qui sont protégés.

Que puis-je faire pour aider? Coudre des masques comme ces ateliers de couture qui sans travail se recyclent dans la confection de cet accessoire soudainement devenu essentiel ou simplement respecter le confinement et proposer mon aide aux petits vieux du voisinage?

Je viens de voir une aide-soignante avec un masque en Wax. Cela pourrait faire sourire, ça montre surtout le manque de matériel à disposition des aides-soignants et infirmiers à domicile. La Police commence à verbaliser tous ceux qui ne respectent pas « la distanciation sociale", cette nouvelle expression qui traduit la distance de minimum 1m50 à respecter entre chaque individu. 30.000 Belges sont toujours coincés à l’étranger. Des files de mobilhomes attendent des ferrys pour quitter le Maroc et rejoindre l’Espagne, pays où la pandémie progresse très rapidement avec presque 3.000 morts et des personnes âgées abandonnées dans les maisons de retraite. Le manque de matériel est un mal commun à de nombreux pays.

Le ton commence à monter contre la Ministre de la santé, Maggie De block, car les masques chirurgicaux manquent et l’on vient d’apprendre qu’un stock périmé de plusieurs millions de masques a été détruit début 2019 sans être remplacé par souci d’économie. Par contre des entreprises en chômage technique se lance dans la fabrication de masques en 3D, sorte de visière qui protège tout le visage et permet de réutiliser les masques traditionnels.


Etoffe blanche accrochée comme invocation

sur l’arbre à loques des Menhirs d’Oppagne.

De la série « Blanc »


Nos deux amis canadiens sont rentrés le vendredi 13 mars après un périple de onze semaines en Patagonie. Ils sont en quarantaine car testés positifs. Ils auront certainement été contaminés lors de leur voyage de retour. Les occidentaux voyageaient à travers le monde comme dans un village. A présent, cela engendre de la xénophobie. Certains Belges coincés à l’étranger en témoignent.

En décembre 2019, la pandémie a commencé au centre de la Chine, dans la ville de Wuhan, toujours fermée mais où la vie sociale et économique redémarre tout doucement..

Je viens de rentrer mon formulaire pour le droit au chômage des indépendants, une mesure exceptionnelle qui me permettra de toucher 1.290€ par mois.

Les Do-Do, nos amis bruxellois ont réservé cet après-midi une chambre pour le début du mois de juin. Les affaires reprendraient-elles? Par contre, les coiffeurs qui étaient toujours ouverts, doivent à présent fermer. Le secteur de la construction est au chômage à 70% et ceux qui travaillent font face à une pénurie de matériaux. C’est une situation inédite!

Je vais passer ma soirée devant le feu de bois - le soleil brille mais les nuits sont glaciales, - achever mon roman « I’m Pilgrim » dans lequel un terroriste tente d’inoculer la variole au peuple américain. Un scénario pas si utopiste que cela!


Mardi 24 mars :

Après un an de blocage, les dernières élections fédérales ont eut lieu en mai 2019, nous avons enfin depuis hier, un gouvernement. Sophie Wilmès qui était notre premier ministre, a reçu les pouvoirs spéciaux. Le gouvernement qui était en affaires courantes, s’est mis en place pour six mois.

Quant à moi, c’est une journée Karcher qui s’annonce : le trottoir et les meubles de jardin puis partie de gin rami avec apéro. J’ai toujours adoré jouer aux cartes. Gosse, je jouais avec mes frère et soeurs au jeu de bataille, au Valet Noir ou à Tape-Tape. A douze ans, je faisais la quatrième au jeu de couyon. J’avais été harponnée par mon grand-père paternel, sa deuxième épouse, une femme de caractère qui était la plus jeune soeur de ma grand-mère et ma grande-Tante Mimie, fluette, charmante et bourrée de tendresse. Ils s’amusaient tous trois de me voir battre les cartes mais je tenais la distance pour ce qui concernait le jeu. Ce furent des après-midis de convivialité autour de la table de la cuisine avec café, chocolat ou alcool de prunelle maison.

A seize ans, j’ai rencontré Didier. Les samedis soir, nous montions à Deux-Rys, chez ses grands-parents maternels, jouer à la Rams avec quelques uns de ses douze oncles et tantes qui revenaient en Ardenne pour le W.E. Didier étant le plus âgé des petits-enfants, il était un peu comme leur cadet. Les parties de fou rire étaient mémorables autour de la grande table où nous étions parfois plus de dix à jouer avec passion pour quelques francs. Voir son grand-père, homme respectable, maître d’école, grand catholique et organiste à l’église tricher aux cartes, fut pour moi une leçon de vie.

Depuis deux jours, Didier a décidé de ne plus se raser. Il m’impose cette horreur chaque fois qu’il n’a plus de vie sociale. Alors, je ne le regarde plus. Dur, dur quand on reste à deux pendant des jours sans voir personne.

Mercredi 25 mars :

Ce matin, j’ai lavé la cuisine et les vitres de la véranda, les châssis sont peints. J’ai l’impression de terminer mon nettoyage de printemps. Cela me rappelle celui de maman quand j’étais petite. Née en 1930, elle avait comme de nombreuses jeunes filles de l’époque suivit les cours à l’école ménagère de Monville. Elle apprenait à coudre des langes, repasser des mouchoirs, tricoter des chaussettes, cuisiner un rôti ou broder des draps de lit. Le nettoyage de printemps à terminer avant Pâques faisait également partie du kit de la parfaite épouse.

Grâce à WhatsApp, nous sommes tous les jours en communication avec nos deux filles. Même si la peur de l’après Coronavirus leur trotte dans la tête, elles profitent de ces moments en famille, et travaillent au jardin. Ceux-ci n’auront jamais été autant soignés. L’école a recommandé aux enfants de profiter de leurs parents avant de penser aux devoirs qu’ils reçoivent chaque semaine. Nous avons la chance de vivre à la campagne et de posséder un jardin. Notre lieu de confinement est une prison dorée. Ce n’est certainement pas le cas partout. La violence familiale et conjugale risque d’exploser dans les appartements exigus. Pour nous, les cauchemars sont nocturnes, cette situation engendre un stress qui ressort lors de notre sommeil. Nos rêves en sont des plus farfelus.

De plus en plus, la fracture sociale entre les travailleurs apparaît , les cols blancs sont à la maison et télétravaillent alors que les caissières, les policiers, les éboueurs, les pompiers, les chauffeurs de bus, les aides à domicile, tous ceux qui font tourner notre société actuelle sont au front pour un salaire déprécié alors que leur boulot est devenu essentiel.

De nombreux scientifiques prônent un dépistage plus important, cela permettrait de cibler les personnes infectés, de les confiner et de permettre à ceux qui sont négatifs de reprendre le travail plus rapidement. C’est ce qui se fait d’une façon systématique en Corée. Chez nous les tests sont encore trop limités.

Le boulanger va fermer tous les après-midis, les ventes diminuent, les gens font leur pain et n’achètent plus de pâtisseries mais de la farine en vrac. Olivier, le jeune meunier de Lafosse, voit son chiffre de vente augmenter. En ville, Géraldine ne trouve plus de levure.

Les jeux olympiques qui devaient commencer le 24 juillet sont reportés à l’année prochaine. C’est une catastrophe pour les sportifs. Tout le monde est vraiment impacté!

Jeudi 26 mars :

Le pic de la maladie n’est pas encore atteint, le nombre de patients hospitalisés double tous les quatre jours. Aujourd’hui, il y a eu 536 nouvelles admissions en clinique et d’ici trois, quatre jours, le nombre de patients hospitalisés et en soins intensifs risque de doubler.

Vendredi 27 mars :

Les pouvoirs spéciaux ont été votés. Ils auront trait à la gestion de la crise épidémiologique. Ses pouvoirs spéciaux dureront trois mois, et seront renouvelables une fois. Notre Première Ministre, la première femme a accéder à ce poste en toute discrétion, gère la crise avec beaucoup d’empathie.

Elle nous apprend que le confinement est prolongé jusqu'à la fin des vacances de Pâques, c’est à dire le dimanche 19 avril à minuit, voire jusqu’au 3 mai, le jour de mon anniversaire!

Certains jeunes n’ont pas encore adhéré aux règles du confinement et organisent des « lockdown parties », d’autres partent encore à la mer ou dans les Ardennes. Comme les déplacements sont limités au strict nécessaire et les réunions interdites, les sanctions prévues vont dés lors être durcies. On bascule de la prévention à la répression. On estime que neuf personnes sur dix respectent les instructions.

La tension gronde dans les prisons, les visites sont interdites et le confinement rend les prisonniers très nerveux.

En tant qu’indépendante, je peux réclamer une aide unique de 5.000€ que je devrais toucher dans deux semaines.


Même si nous restons enfermés, nous devons garder une certaine routine. Paola, ta grande soeur de onze ans, élève de sixième primaire à l’école du Beau Mur de Grivegnée, devait, aujourd’hui, exposer son chef d’oeuvre. Tes parents ont eu la bonne idée de lui faire présenter son travail dans leur salon.

Samedi 28 mars :

Le premier ministre britannique, Boris Johnson, est contaminé. Ce dernier n’était pas partisan du confinement qui a pourtant été instauré en début de semaine. Le Royaume-Uni qui fait face à une pandémie en pleine accélération avec déjà 759 morts.

Les ingénieurs ne sont pas à l’arrêt. Ils sont nombreux à chercher de nouvelles solutions pour remplacer le matériel manquant dans les hôpitaux. Certains adaptent des masques de plongée des magasin de sport Décathlon avec des embouts créés grâce aux imprimantes 3D. Et ça marche! Avantage : rapidité d’exécution et petit prix de revient.

Des photos arrivent des USA, de New York, en particulier, la ville qui ne dort jamais est à l’arrêt. Des millions de personnes sont au chômage. Le nombre d’hospitalisation aux urgences a augmenté de 40% et la pénurie de respirateurs, gants, blouses et masques inquiète comme partout ailleurs. L’imprévision est la même dans tous les pays.

La Russie vient également d’installer le confinement.

Je me suis inscrite comme bénévole sur la plateforme solidaire de la commune


Dimanche 29 mars :

Nous sommes passés à l’heure d’été, cela nous fera une heure de confinement en moins. Pour marquer le dimanche, nous ne bougeons pas, enfin, façon de parler. Je passe de l’ordinateur à mon fauteuil, au coin du feu. Le temps se prête à cette paresse car le soleil nous a quitté et il neigeote à l’extérieur. Le froid n’est pas encore parti. Le dicton wallon dit : « Tant qu’lès nwèrès spenes ne sont ni florîyes, le bon timps n’est ni là ! » « tant que les prunelliers ne sont pas fleuris, le bon temps n’est pas là ». Les prunelliers commencent leur floraison.

Didier gratte la guitare. Il a commencé à en jouer en janvier 2019. Il s’est installé au grenier avec ses instruments, son ampli et son ordinateur pour traiter ses photos. Il s’est enfin rasé. Je l’adore.

Je viens de terminer le carré "Brun" de ma série "les couleurs dans la nature dans la nature".


BRUN

Les racines élémentaires

Le brun est la couleur de la terre, des écorces, des feuilles mortes, des champignons et des racines.

Il se décline dans des dizaines de nuances: du chocolat au café au lait, du noisette au brou de noix, du caramel à la cannelle ou du fauve au mordoré.

Il est symbole de naturel, de calme, de solidité, de rusticité et d’assurance.

C’est la couleur de l’iris du cheval ardennais, de la robe baie du cheval Bayard, monture féérique des quatre fils Aymon et légendaire coursier de la forêt ardennaise. En wallon : li tchvå Bayåd, vigoureux et robuste.

C’est la couleur du pauvre, du camouflage, du cerf et du sanglier, des oiseaux, des traces et des empreintes. Tout vire au brun un jour ou l’autre: les fleurs qui fanent, les fruits qui pourrissent. C'est la couleur de la mort, de la boue et de la crasse, la couleur de nos excréments, du fumier et du lisier.

C’est une couleur que l’on obtient en mélangeant les trois couleurs primaires. Les couleurs chaudes avec les couleurs froides, la vie avec la mort.


Lundi 30 mars :

Notre premier geste est de dévorer le journal. Le covid 19 fait vraiment la une du quotidien. Il impacte la vie politique et les dissensions dans la Communauté Européenne. Il fait ressortir l’égoïsme des pays du Nord, vertueux budgétairement : Allemagne, Hollande, Autriche et pays Baltes, envers l’Italie et l’Espagne, débordés par la pandémie et criant au secours. A ce jour, les Italiens comptabilisent plus de 10.000 morts avec un chiffre macabre de plus de 800 décès par jour.

Le virus inquiète toujours le monde médical : Les généralistes après un mois de consultation par téléphone vont devoir réouvrir leur cabinet car certains cas nécessitent une auscultation. Des patients Covid 19, sortis de l’hôpital et toujours contaminants, ne savent pas comment et par qui ils seront pris en charge. Une infirmière de trente ans, sportive et en bonne santé, est décédée en Flandres, ce qui angoisse ses collègues sur le risque de contamination pour eux et leurs proches. Une deuxième vague est attendue et redoutée par ceux qui se démènent corps et âme dans des situations de médecine de guerre où ils arriveront bientôt à poser le choix éthique de savoir quel patient soigner.

Je suis sur l’autre rive de ce torrent. Ma journée consiste à trouver de quoi m’occuper. Aujourd’hui, je vais peindre le couloir après avoir mis sur le feu, une soupe préparée avec les derniers poireaux du jardin. C’est un légume qui me remémore mon père. Il en avait la passion.

A cinquante deux ans, il avait repris un établissement horticole petit et familial. Il n’avait qu’un seul ouvrier, Eugène, un vieux garçon taiseux, aux habitudes bien ancrées et fermier après journée. Le jardin et les serres qui devaient couvrir 700 m2 étaient son domaine pendant que maman s’occupait du magasin de fleurs. Il cultivait des bégonias qu’il repiquait à la pince à épiler, pendant tout l’hiver, assis bien au chaud dans la serre de multiplication. Ces maisons de verre avaient toutes un nom : la serre froide, la serre roulante qui aurait pu se déplacer si il y avait eu assez de place pour le faire, la serre du fond ou celle des pieds-mères de géraniums qui permettait de prélever les boutures et la serre aux plantes qui servait de réserve pour le magasin. Le long des serres, une quinzaine de couches vitrées couvraient le reste du terrain. C’est dans celles-ci que papa cultivait plantes annuelles et légumes avec une prédilection pour les poireaux qu'il empaquetait par milliers en bottes de cinquante ou de cent pièces. Assis dans un cagibi de tôles et de plastiques, vêtu d’un tablier qu’il avait confectionné avec un vieux sac de terreau et une ficelle, il les comptait inlassablement avant de les emballer par bottes dans un morceau de journal plié avec rigueur. Ensuite, armé d’un ancien couteau rafistolé, il leur coupait les pointes.

Mon père était le roi de la récup. Avec sa Renault4 fourgonnette, il partait au parc à containers où l’on pouvait évacuer tous nos déchets, vidait sa voiture puis ramassait tout ce qu’il estimait récupérable et rentrait avec un véhicule plus rempli qu’à l’aller.

Sur son cercueil, comme je le lui avais promis, j’ai déposé une gerbe de poireaux. Ces légumes qu’ils trouvaient plus élégants qu’une fleur et qui pouvaient détruire ses relations de voisinage quand au printemps, Whisky, le chien du voisin, un petit homme imbu de son autorité de garde champêtre, cachait ses trésors osseux dans les couches où pointaient bien alignées les pousses de ces précieux légumes.

Mardi 31 mars :

Je range la buanderie et je trie tout ce que j’entasse depuis 14 ans. A cette époque, quand nous avons déménagé à Aisne, dans notre maison d’hôtes, j’ai changé de vie. Pendant trente ans, j’avais travaillé comme fleuriste. Dix ans avec mes parents et vingt ans à mon compte. Mais j’étais fatiguée de ce travail et j’aspirais au changement. Aussi, étais-je heureuse d’entrer dans ma nouvelle maison et de relever un nouveau défi avec ses chambres d’hôtes.

Aujourd’hui, je me suis lancée dans la fabrication de profiteroles moi qui ai horreur de faire de la pâtisserie. Le résultat n’est pas mal mais elles ne sont pas aussi délicieuses que celles de Marie-Jeanne qui nous en prépare plusieurs dizaines à chaque anniversaire. Vivement celui d’Alice!

Les nouvelles du jour nous informent que nous nous rapprochons du pic et que la maladie est toujours dans sa phase ascendante.

Pour ceux qui restent confinés, c’est le retour vers des valeurs essentielles : en s’occupant de la famille, de l‘éducation des enfants, en prenant le temps de vivre, de lire, cuisiner ou jardiner.

Cosimo, tu profites de ce climat de calme. Tu dors sans angoisse car tu sens tes parents à tout moment près de toi.

Nombreux sont ceux qui prédisent une révolution après cette épidémie. Il y aura des dégâts sociaux, économiques et psychologiques. L’hyper-mobilité et l’hyper-consommation qui créent ses épidémies virales devront être revues. Un nouveau mode de développement devra apparaître.

Le WWF fait un lien entre la déforestation et la diffusion des virus dans le circuit humain : en Amazonie, les zones déforestées présentent une densité plus élevée de moustiques porteurs de la malaria comparés aux forêts intactes, au Malawi, la surpêche a mené à la disparition progressive de poissons qui se nourrissaient de gastéropodes porteurs d’un ver parasite qui transmet la bilharziose à l’homme.

J’ai téléphoné à mon neveu, chirurgien à l’hôpital d’Arlon. Les admissions ne sont pas aussi importantes que dans d’autres régions du pays. A présent, chaque patient entrant à la clinique doit passer un scanner, la seule façon de certifier qu’il n’a pas le covid19. Les tests ne sont pas assez fiables. Cela engendre beaucoup de travail et d’angoisse pour son épouse, Nathalie, radiologue au même endroit

Mercredi 1er avril :

Une jeune Gantoise de douze ans est décédée hier. L’émotion est montée d’un cran car il y un mois, on nous parlait d’une mauvaise grippe attaquant surtout les personnes âgées ou affaiblies par des problèmes de santé et l’on se rend compte à présent que le virus peut tuer des personnes jeunes et en bonne santé. Par contre cette épidémie engendre une énergie positive, les contacts téléphoniques sont plus fréquents, on se reparle.

Hier soir, je n’ai pas regardé les infos. Tout tourne autour du coronavirus, il n’y a plus aucune autre information. C’est un climat de fin du monde ou de révolution si nous avons le courage de changer nos habitudes.

Je deviens de plus en plus fainéante. Voilà deux jours que je nettoie ma buanderie de six mètres carrés et il me faudra encore une matinée demain pour terminer. Lever tardif, déjeuner en lisant le journal, téléphoner à l’un ou l’autre, dîner et jeu de rami, 25km à vélo avec prise de photos, retour et traitement des photos. Il me reste peu de temps dans la journée pour achever mon nettoyage; c’est pas grave, j’ai tout le temps devant moi, la fin du confinement n’est pas encore annoncée.

Ma soeur, Françoise, me téléphone. C’est plutôt rare, je sens que l’isolement lui pèse, elle ne voit plus ses trois petits-enfants et elle pleure quand elle voit le bébé Blaise sur Skype.

Jeudi 2 avril :

Toujours le calme plat. J’ai l’impression de vivre au pays de la Belle au Bois Dormant. A quoi ressemblera demain? La libération semble si lointaine.

Des Canadiens viennent d’annuler leur réservation du mois d’août. L’incertitude est dans tout et surtout chez les jeunes. Emilie et Olivier dorment mal. Quel sera leur futur? L’angoisse monte de plus en plus et nous ne sommes qu’au début. Cependant, il y a plus malheureux que nous : tous les sans-papiers qui dépendent de l’économie informelle se retrouvent sans moyens de subsistances. Ils sont estimés entre 100.000 et 150.000 en Belgique. Plusieurs collectifs d’aide aux sans-papiers demandent leur régularisation car sans revenus et abris, ils ne peuvent rester confinés. Ils sont donc plus sensibles à la contamination et risquent également de la propager. La situation est souvent incohérente : des personnes libérées de centres fermés reçoivent l’ordre de quitter le pays dans les trente jours alors que les frontières sont fermées et que le trafic aérien est inexistant.

Le trafic routier s’est effondré de plus de 95%. Le tournoi de Wimbledon est annulé et Trump voit sa quote de popularité s’affaiblir. Cela ne l’empêche pas de continuer à mentir comme un arracheur de dents et de déceler des fake news partout. Confiant dans sa réélection en novembre de cette année, il risque de pâtir de cette pandémie qui pourrait faire plus d’un million de morts aux Etats-Unis. Je viens d’entendre à la radio que sur le tarmac des aéroports, en Chine, les Américains surenchérissaient trois ou quatre fois sur les lots de masques commandés par la France et les payent cash. Ce sont des méthodes de cow-boy!

Ce matin, j’ai téléphoné à maman pour lui proposer d’aller chercher son magazine à la librairie. Elle y était allée alors que je lui recommande depuis des semaines de ne plus circuler en rue et de limiter ses déplacements à son jardin. C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Voilà des années que je m’occupe d’elle et elle continue à n’en faire qu’à sa tête. Grand bien lui fasse, je lui rapporte sa carte de banque, ainsi elle pourra demander à quelqu’un d’autres de s‘en occuper. Moi, j’ai donné. Basta!

Paola cherche des livres se passant entre 1860 et 1880 en Amérique du Nord, elle veut écrire un roman. Il n’est jamais trop tôt pour commencer. Et si elle ne trouve pas l’inspiration, ces lectures lui permettront d’augmenter sa culture générale (sic).

Quelques chiffres de ce matin : 828 morts (+123 en 24h ), 4.995 hospitalisations (+ 75 en 24h ), 1088 personnes aux soins intensifs ( +67 en 24H ), 2132 guéris (+436 en 24H ).

46.150 morts du Covid19 dans le monde.

Vendredi 3 avril :

La Suède a pris le parti de l’immunité collective. Le confinement n’est pas instauré. Le gouvernement compte sur l’autodiscipline innée de ses habitants et les recommandations pour contrer la pandémie. Dans le monde, il y a un million de cas recensés, dont 51.718 décès ont été détectés dans 188 pays notamment aux USA où l’épidémie progresse actuellement le plus rapidement. Les journaux analysent notre nouvelle vie : comment travaille le personnel soignant, comment vivent les familles, comment les artistes creusent de nouveaux moyens de communication ou comment le monde scientifique cherche des solutions à tous les problèmes engendrés par la pandémie qui en trois semaines à chamboulé notre monde?

Dire que le samedi 13 mars, j’écrivais à mes hôtes du WE suivant que si les restaurants étaient fermés, ils pourraient manger avec nous. J’étais inconsciente de la durée et de la rigidité du confinement. Le mercredi 17 mars, mes hôtes m’informaient qu’ils ne viendraient pas, nous étions alors tous lucides du bouleversement.

Je suis retournée me rabibocher avec ma mère. Elle n’en fait qu’à sa tête, c’est pire qu’une ado.

Elle a eu nonante ans ce 21 janvier. Trois mois avant, elle partait bras dessus, bras dessous avec sa voisine, rendre visite pour un décès quand elle a été renversée par Hugo, son petit voisin, qui s’était précipité vers elle pour lui dire bonjour. Fracture du crâne, deux jours aux soins intensifs, six semaines à l’hôpital et autant en maison de repos, avant de pouvoir rentrer chez elle. Cet accident ne l’a pas empêchée de reprendre sa vie comme avant, même si elle se plaint encore souvent de ne plus être aussi alerte. Bref, elle refuse de vieillir et n’accepte pas notre aide. Je suis donc revenue chez elle, ce matin. Elle en avait déjà profité pour retirer 600 euros de son compte. C’est beaucoup de cash pour payer le pain. En cette période de virus, tous les autres services doivent être payés avec la carte bancaire.

Samedi 4 avril :

Un hall du marché de gros de Rungis est occupé par les pompes funèbres qui manquent de place dans la région parisienne pour stocker les corps.

Ici, le soleil luit, les habitants du village et de la vallée ne semblent pas affectés par le coronavirus. Voilà trois semaines que nous sommes bloqués chez nous et c’est le premier jour des vacances de Pâques, il est formellement interdit de quitter sa maison sous peine d’amende. Le tourisme est à l’arrêt mais je présume que si les mesures sont levées, cette été, les gens partiront plus volontiers en Ardenne ou à la mer qu’à l’étranger. Cela devrait être bénéfique au tourisme local. Le journal « Le Soir » titre : « les vacances de Pâques sont perdues, celles d’été seront belges ».

Depuis deux jours, Emilie, comme Hamlet, se pose des questions : « dois-je retravailler avec des commandes via internet et des livraisons chez le client ou est-ce mieux de rester confinée? ». Certains de ses collègues proposent un choix restreint de bouquets à livrer et elle a peur que ses clients ne l’oublient. Aujourd’hui, elle était pour le statu quo et je pense que c’est la bonne solution.

Dimanche 5 avril :

C’est le dimanche des Rameaux. Chaque année, maman nous apporte une branche de buis bénit, à garder pendant un an à l’intérieur de la maison. Comme les messes sont annulées, je suppose que ce rameau porte-bonheur, sera reporté, comme tout le reste, en 2021.

Eh bien non, elle l’a béni elle-même avec de l’eau bénite qu’elle a toujours sous le coude!

Le temps est magnifique, il fait 20°, les vélos sont de sortie. C’est le seul moyen de locomotion autorisé. Aucun résidant dans le gigantesque camping de Blier, les mesures de confinement sont suivies à la lettre. Arrivés à La Forge-à-la-Plez, Didier victime d’un étourdissement, fait une chute. Nous n’irons pas plus loin aujourd’hui.

Depuis le début du confinement, nous avons pris l’habitude d’un apéro avant le souper. On voit certains, le prendre avec leurs amis via skype ou WhatsApp. Cela rappelle les soirées entre copains ou les sorties au resto. Hier soir, Didier a ouvert une bouteille de vin blanc pour accompagner les filets de sébaste. Il vient d’Azerbaïdjan, de la cave Khan de Goygol, anciennement appelée Helenendorf. Ce village est une ancienne colonie allemande, établie en 1819 par 135 familles souabes ayant émigré dans le Caucase après avoir descendu le Danube, contourné la mer Noire, traversé le Don à Rostov, pour venir s’installer à 370 km à l’Ouest de Bakou. La deuxième génération créa des vignobles qui désaltérèrent pendant des décennies la Russie puis l’URSS. En 1941, Staline, effrayé par cette présence allemande dans le Caucase, déporta toute la communauté, forte de 25.000 personnes, vers le Kazakstan et l’Asie centrale.

Nous sommes passés à Goygol en septembre 2019. Nous avons visité cette ville allemande avec église, école et caves viticoles où nous n’avons pas pu goûter le vin que nous venions d’acheter dans une petite boutique à l’allure soviétique alors qu’autour de nous, flottaient d’agréables arômes de raisins fermentés. Il est vrai que nous étions en pays musulman où la culture du vin n’est pas élevée au rang d’Art comme en Géorgie, pays voisin que nous allions visiter quelques jours plus tard.

Emilie vient de découvrir un compte Facebook « Fleuristes de Belgique en détresse », le « détresse » a été vite supprimé. C’est un site de partage qui la conforte dans le fait de respecter le confinement jusqu’au 19 avril et de profiter de ce temps précieux pour s’occuper de sa famille.

Lundi 6 avril :

Le temps est toujours magnifique : 24°.

Ma nièce Charlotte a le covid depuis quinze jours. Ce sont des douleurs à la tête et surtout aux jambes qui l’empêchent de dormir. Elle reste confinée chez elle avec son mari et ses deux gamins.

Félix vient de recevoir son GSM. Il était le dernier à ne pas en avoir. Pour bien démarrer sur le compte WhatsApp familial, il a été, comme d’habitude, très créatif.

Samedi, les personnes quittant l’hôpital étaient plus nombreuses que celles qui y entraient. Par contre, le nombre de morts est toujours en augmentation.

Hier, dans son allocution télévisée, la première ministre Sophie Wilmès a annoncé qu’un groupe d’experts va se pencher sur un scénario de déconfinement progressif. Celui-ci doit être bien réfléchi pour ne pas tomber dans une deuxième vague de malades. Par contre, il ne faudra pas trainer. Une étude de l’UCLouvain et de l’université d’Anvers montre l’ampleur des dégâts psychologiques de la quarantaine. Un Belge sur deux en serait victime.

Pour notre part, tout va bien, pas de violence conjugale, pas de solitude et pas de peur.

Mardi 7 avril :

Toujours le train train quotidien. Pendant que Didier plante ses patates - la lune est bonne - je me balade, prends des photos et passe des coups de fil aux filles (Hou, hou, les enfants me manquent, j’ai envie de les serrer dans mes bras à les étouffer ), puis dîner, rami, sieste et les courses alimentaires hebdomadaires.

Puisque je quitte la maison pour faire des achats, je m’astreins à m’habiller convenablement. Voilà des semaines que je n’ai plus teint mes cheveux. Pour les camoufler, je viens de renouer mon foulard comme je le faisais lors de notre voyage en Iran. Nous avions logé avec Parvin et Moshem dans une ferme, au nord de Qazvin. Arrivés entre chien et loup, nous avions commencé par aller saluer, avec nos hôtesses, les voisins alentour. Nous étions hébergés par trois femmes et leurs vieux parents. Indépendantes, énergiques, elles voulaient tout savoir et interrogeaient sans cesse Parvin sur ces étrangers si rares dans leur république islamique. Ce sont elles qui m’avaient montré comment fixer mon foulard pour qu’il ne me dérange pas. En tant que fermières, elles savaient comment procéder. Et tant pis si le cou n’était pas couvert! D’ailleurs, le lendemain, dans le bazar de Rasht, j’ai reçu une remarque d’une Iranienne comme quoi je n’étais pas assez vêtue alors que je portais pantalon, tunique à mi-cuisses avec manches longues et foulard. Le tissu imprimé dans les tons de rose de ma chasuble ne semblait pas non plus correspondre aux critères des religieux.

Le personnel du magasin d’alimentation n’a ni masque, ni gants. Seuls deux clients en portent. L’un des deux s’est mis un foulard bleu à pois blancs plié en pointe. Un instant, j’ai cru faire face à Averell Dalton.

En rentrant, je me suis arrêtée chez Emilie pour lui faire signer ainsi qu’à Olivier et Félix, la cession du droit sur la photo de Félix tenant un crâne, celle qui a été retenue par le futur magazine « Pourtant ». C’est incroyable, voilà plus de trois semaines que nous ne nous sommes plus vus, nous restons à deux mètres de distance et mes petites-filles se retiennent pour ne pas se jeter dans mes bras comme elles le font depuis toujours.

L’Autriche a réouvert les petits commerces et conseille le port du masque dans l’espace public. De nombreux festivals et évènements sont reportés à septembre et octobre. Si nous avons été confinés ce printemps, nous risquons de ne pas l’être cet automne.

Mercredi 8 avril :

Cette nuit, un avion est passé vers minuit. Ce bruit incongru m’a réveillée. C’est étonnant comme notre cerveau reste en alerte. Emilie et Olivier souffrent toujours d’insomnie. La période que nous vivons est très anxiogène. Même si nous avons l’impression d’être en vacances - aujourd’hui, nous avons roulé soixante kilomètres à vélo jusqu’à la Fagne du Pouhon - nous savons que nous ne le sommes pas.

Le cap des 2.000 morts est dépassé en Belgique; 10.000 en France.

Mon amie Marijke - son nom signifie petite Marie en flamand - dont toute la famille vit à Gand, se tracasse pour sa maman placée en maison de repos où les visites sont interdites. Elle lui téléphone tous les jours mais a très peur car le covid 19 pénètre de plus en plus ces établissements. Le personnel y est mal protégé (pas de tests, trop peu de masques et de gants). Le risque de contamination sur cette population âgée est beaucoup plus important. Sa fille, inoccupée pour l’instant, va se porter volontaire pour travailler dans le home où vit sa grand-mère afin qu’une personne de la famille puisse être présente à ses côtés.

On meurt toujours seul, mais au temps du Covid, la solitude est décuplée.

Jeudi 9 avril :

Je continue mon projet sur les couleurs dans la nature. Je travaille sur le blanc, le gris et le vert. Pour ce faire, hier, nous avons pris nos vélos et suivis la vallée de l’Aisne jusqu’à sa source. Mon intention était de photographier la mousse blanche qui est retenue par les petits barrages dans les tourbières. C’est un phénomène de saponification qui apparait seulement dans les eaux acides. L’Aisne prend sa source à Odeigne dans la Fagne du Pouhon - un biotope qui ressemble à la Finlande ou à la montagne au-dessus de 1.500m. On y retrouve entre autre, de la linaigrette, de la trientale ou du fenouil des Alpes. Le dénivelé de la rivière est de 500m. C’est étonnant quand on sait que le point culminant de la Belgique est de 694m. Là-haut, en haute Ardenne, on trouve des cimetières avec des tombes du 19ème siècle taillées dans le schiste d’Ottré. Ce sont de petits bijoux d’art naïf avec crâne à barbichette ou cheveux à crolles - encore une joli belgicisme qui veut dire boucles - avec fautes d’orthographe et signature de l’artiste avant de commencer à écrire la dédicace qui parfois n’est pas terminée par manque de place.

GRIS

Le gris n’est pas vraiment une couleur. Il résulte du mélange du noir et du blanc.

Il symbolise la douceur, le calme et apaise.

Il est passe-partout et s’associe avec toutes les couleurs.

Il est sobre, chic et élégant dans la décoration et l’habillement mais triste et fade dans la nature. C’est un signe de grisaille et de poussière.

C’est la couleur de la souris et de l’âne, du schiste et du calcaire,

du poudingue de Roche-à-Frêne.

C’est la couleur des poissons, de l’eau et des cendres du grand feu à la fin de l’hiver.

C’est la couleur du tarmac et du béton qui gourmands, mordent la terre

et entament le paysage.

C’est la couleur des tôles ondulées des abris dans les prés.

C’est la couleur du lichen et de l’écorce du hêtre, la couleur du bois mort

et des tombes en schiste des cimetières de Haute Ardenne,

des bornes et des poubelles aux carrefours touristiques.

Gris, ce n’est ni blanc, ni noir, ni bon, ni mauvais.

Gris, c’est le compromis, le consensus.


Sur le chemin du retour, nous avons acheté deux kilos de farine au moulin d’Odeigne, un des deux encore en activité dans la vallée qui comptait, il y a plusieurs siècles, plus de trente ouvrages hydrauliques.

Les meuniers sont un couple de trentenaires avec deux enfants. Ils perpétuent des gestes ancestraux dans un bâtiment d’un autre âge. Ici, pas de pénurie de farine comme dans les grandes surfaces. C’est le circuit court par excellence. Une antique sonnette à agiter et le meunier arrive pour nous servir.



A Odeigne j’ai venu être meunier l’an 1777

Guillaume Nizet.


Ce matin, j’ai continué à repeindre les châssis de fenêtre. A présent je vais aller ramasser des orties pour cuisiner une soupe, cueillir les premières rhubarbes et préparer un crumble.

Ma recette : Je fais rissoler deux oignons, j’ajoute quatre pommes de terre puis, cinq minutes avant de mixer ce potage, j’y introduis une centaine de pointes de jeunes orties que je cueille en les pinçant entre le pouce et l’index comme le faisait ton arrière arrière grand-père pour stimuler sa circulation sanguine. Un peu de sel et poivre. Eh hop, c’est Byzance!

Nous dépensons beaucoup moins pour l’alimentaire et pourtant nous cuisinons tous les jours. Aujourd’hui, chicons au gratin, un typique de la cuisine belge.

Encore une annulation de quatre chambres, quatre jours en juillet. Mon agenda se vide de plus en plus. Par contre, je viens de toucher le droit passerelle que le gouvernement donne à tous les indépendants obligés d’arrêter leurs activités. Ces 1.291,69€ me permettront de payer quelques factures.

Vendredi 10 avril :

Je n’en crois pas mes oreilles, elles l’ont fait! Les cloches sont parties pour Rome. Pas de nouvelles aux infos comme quoi elles seraient bloquées aux frontières. La politique n’a pas encore la main mise sur les croyances et la religion. Il faut dire qu’avec le traçage, nos libertés individuelles vont en prendre un coup.

Aujourd’hui, nous avons fait une randonnée à vélo jusque Durbuy. La destination préférée des Belges en Ardennes est complètement désertée pour ce W.E. de Pâques. Les campings le long du chemin de halage le sont tout autant.

Cosimo, je t’ai vu tout à l’heure sur l’écran via WhatsApp partir en promenade avec Paola et ta maman. Tu trottinais, tétine en bouche et doudou pendouillant. Mon petit chéri, tu nous manques!

Les nouvelles du jour sont toujours aussi angoissantes : 3 millions de masques FFP2 arrivés de Chine ne sont pas conformes. Pour le mois d’avril, les besoins sont estimés à 15 millions de masques chirurgicaux et 2,8 millions de FFP2. C’est toujours la panique dans les maisons de repos où les tests manquent. Une sur six est un foyer épidémique. Un bataillon médical de l’armée est arrivé en renfort pour aider le personnel dont de nombreux membres sont malades.

La Belgique est le troisième pays en nombre de décès par habitant. Il est précédé par l’Italie et l’Espagne.

Samedi 11 avril :

Hier soir, j’ai regardé le Journal Télévisé en accéléré, toujours des nouvelles terribles axées sur l’épidémie : la barre des trois mille morts est franchie en Belgique, la moitié des décès ont lieu dans les maisons de repos; une récession est prévue, plus importante que la terrible crise de 1929; de nombreux dégâts psychologiques sur la population confinée sont à craindre. Alors j’ai fermé la télévision et j’ai repris ma vieille habitude de lecture. Je viens de terminer le dernier livre d’Armel Job, « La disparue de l'île Monsin », une écriture fluide à la Georges Simenon. Je possède quatre chambres d’hôtes dont les noms sont ceux d’écrivains locaux. Georges et Armel ont la leur et toute leur oeuvre trône dans celle-ci. Pour construire ses histoires, Armel m’a avoué qu’il avait besoin d’un ancrage géographique réel, aussi, ai-je appris qu’Aisne, mon village, et mon jardin se trouvaient dans un de ses récits. Quel plaisir pour une lectrice de retrouver son jardin dans un roman! Avant ce bouquin, j’avais lu - dans la forêt - de Jean Hegland, un récit prémonitoire sur notre vie actuelle. Et pour l’instant, je lis «La fabrique des salauds ».

Mon premier sourire, chaque jour, je le dois aux dessins humoristiques de Kroll dans - Le Soir - il a le talent pour schématiser et dédramatiser notre situation.

Dans le village voisin où je fais mes courses, il y a environ 1.200 habitants. En tant qu’ancienne commerçante, je connais tout le monde. Devant les devantures, nous ne formons pas vraiment de files, chacun se met où il veut et papote plus que d’habitude, en respectant des distances de pestiférés.

Dimanche 12 avril :

Nous sommes le dimanche de Pâques; je me suis levée aux aurores pour faire le travail des cloches dans le jardin de tes cousins car je dois te l’avouer, j’ai menti, elles n’avaient pas le droit de se rendre à Rome. J’aurais tellement voulu croire à ce voyage des cloches en Italie. Te rends-tu compte que même notre imaginaire est raboté? Et nous restons sans réaction, obéissant comme des moutons.

Les cloches de la chapelle jouxtant notre maison rythment mon quotidien, marquant inlassablement les heures et demie-heures.

En ce jour de Pâques, le pape François était seul, dans la basilique Saint-Pierre du Vatican, pour donner sa bénédiction. Les fidèles se sont contentés de le suivre à la télévision.

En Allemagne et aux Etats Unis, des messes étaient célébrées dans des drive in. Les fidèles répondaient Amen, en klaxonnant ou agitant leurs essuies glaces!

Youhou, je viens de recevoir une réservation pour le mois de juillet. Avec la vie d’ermite que nous menons, j’avais presqu’oublié le plaisir que j’ai d’accueillir des hôtes. Ces rencontres me font voyager sans bouger. Des personnalités improbables ont franchi mon seuil : Bénita, Iranienne d’obédience catholique avait réservé chez nous car sa tante Alice porte le même nom que notre maison d’hôtes, Mike et Wendy, brasseur et biologiste sur l’île de Kodiak en Alaska où les ours sont trois plus nombreux que les habitants, Adam, le premier enfant né sur le sol américain d’un couple de réfugiés allemands sous l’Allemagne nazie, Catherine épouse d’un Italien , vivant à Rome, née sur l’ile familiale écossaise, de parents aristocrates - toutes deux en bottes de caoutchouc, nous étions parties observer les sites de construction des castors -, Patricia, américaine, sur les traces de son père, GI pendant la seconde guerre mondiale, ayant traversé avec sa compagnie, l’Europe, du Havre à Munster, de Bastogne à Arhnem avant de pénétrer en Allemagne, Rita, autrice américaine, prospectant la région en vue d’un nouveau roman et me demandant de lui expliquer la signification du mot français « voilà » , Jean-François, géographe canadien, parti à vingt ans, en 1971, vers la Nouvelle-Guinée via un vieux cargo mixte colonial de la compagnie française des Messageries Maritimes, pour une traversée de 35 jours et un voyage de deux ans. Tous des personnages passionnants à écouter, que j’accompagne durant leur séjour et qui me permettent de faire un voyage immobile.

Lundi 13 avril :

Il y a quarante ans, nous habitions Wéris, un petit village de 400 habitants, ici, tout près. Le lundi de Pâques, les enfants passaient dans les rues pour distribuer de l’eau bénite, contenue dans un gros tonneau de fer qu’ils tiraient derrière eux. Peu pratiquante mais respectant les usages, j’en prenais un verre que j’échangeais contre une pièce de monnaie. Verre qu’Emilie, petit bout’chou, eut tôt fait d’avaler. Elle fut bénie ou bénite à vie. Je pencherais plutôt pour le premier adjectif car, ce jour là, c’est la main du hasard, plus que celle de Dieu qui devait trainer sur la table de ma cuisine.

Le mari de Charlotte vient de contracter le virus. Par contre, nos amis canadiens sont guéris. Ils n’ont pas trop souffert. Ils ont pourtant presque septante ans. Comme dit Louise, c’est sans doute grâce à leur jeunesse. Ils restent cependant en quarantaine car les données sur le covid19 sont imprécises quant à l’immunité.

La température a chuté de dix degrés, le ciel est gris et mon humeur morose. Mon sommeil comme celui de beaucoup d’autres est toujours perturbé. Je cuisine un potage à l’ail des ours. J’en ai ramassé, hier, le long de l’Ourthe pendant notre balade à vélo. Leurs fleurs blanches embaumaient le parcours et la mousse desséchée par ce mois aride envoyait déjà des parfums d’été.

Sur les ponts, Didier adore s’arrêter pour observer les poissons dans la rivière. Barbeaux et hotus profitent des eaux désertées par les kayakistes.

Pour les nouvelles du covid 19, je laisse le journal LE SOIR te les donner :

La pandémie du nouveau coronavirus a fait au moins 112.510 morts dans le monde depuis son apparition en décembre en Chine, selon un bilan établi par l’AFP à partir de sources officielles dimanche à 19H00 GMT.

Plus de 1.824.950 cas d’infection ont été officiellement diagnostiqués dans 193 pays et territoires depuis le début de l’épidémie. Ce nombre de cas diagnostiqués ne reflète toutefois qu’une fraction du nombre réel de contaminations, un grand nombre de pays ne testant que les cas nécessitant une prise en charge hospitalière. Parmi ces cas, au moins 375.500 sont aujourd’hui considérés comme guéris.

L’Italie a annoncé dimanche 431 décès de la maladie Covid-19 dans les dernières 24 heures, son bilan le plus faible depuis le 19 mars, il y a plus de trois semaines.

L’Italie est l’un des pays au monde les plus meurtris par la pandémie, avec près de 20.000 morts selon les décomptes officiels. (sources : Le Soir )

En Belgique, on compte, à ce jour, 3.600 décès.

Mardi 14 avril :

Hier, je suis montée à Villers-sainte-Gertrude par l’ancienne route, déjà répertoriée au 18ème siècle dans l’Atlas de Ferraris. A présent, c’est un sentier. Tous ces anciens passages ont bien failli disparaître. Heureusement, les randonneurs et vététistes se les réapproprient.

Je m’y rends pour porter des livres à mes amis. Nous faisons partie d’un comité de lecture : « Le Prix du Deuxième Roman », instigué par Armel Job et décerné par la ville de Marche-en-Famenne. Il y a quelques années, comme je logeais Muriel Magellan, la lauréate de l’édition précédente, j’avais été invitée au repas de clôture du festival. Un moment de plaisir pour la petite souris que j’étais, à grignoter les conversations des auteurs nominés, mes commensaux, pour quelques heures.

Mercredi 15 avril :

Maman me téléphone au saut du lit. Elle est tombée dans son jardin, hier après-midi et ne sait plus sortir de son lit. J’appelle le médecin et en attendant de pouvoir le joindre, l’infirmière pour voir quel anti-douleur je peux lui donner. Comme elle est dans le village, elle passe la voir. Elle et sa collègue, infirmières à domicile, pallient au travail des médecins et des aides familiales. Son regard est épuisé et je sens sa nervosité à fleur de peau, un rien la ferait craquer. Elles se sentent abandonnées de toutes parts et seules au front.

Pour ma mère, il n’y a rien de grave. Tout sera résolu avec des antidouleurs, du repos et de nouveau un petit sermon. Elle s’active encore comme une femme de cinquante ans. Or, sa chute pourrait-lui être fatale si elle devait être hospitalisée. Elle pourrait se retrouver seule, dans l’ambulance, seule à l’hôpital et seule devant l’inéluctable.


Maman


A l’arrivée du médecin, j’enfile mon masque. Il est fait maison et offert par la voisine.

Ma bouche et mon nez sont dans un hammam sous le tissu de coton blanc. Ça me rappelle Meknès et le hammam où le propriétaire du Dar où nous logions m’avait conduite, voici un petit texte inspiré par cette expérience :

Je suis à la porte du hammam dont rien n’indique l’entrée. Un couloir, un coude et je me retrouve dans deux petites salles vieillottes qui servent de vestiaire. Les vêtements resteront pendus au mur.

Je paie cent dirhams et me déshabille. Je fais comme les autres femmes; je garde ma culotte.

Par la main, la portière me fait passer dans une pièce puis m'indique d’entrer dans la suivante constituée de deux espaces de quatre mètres sur dix, avec voûte en berceau et deux, trois puits de lumière. Des pavés bleus et blancs sur pointe décorent les murs, le sol est fait de vieux carreaux, de ciment et de morceaux de toile cirée sur lesquels je m’assieds. Une vingtaine de seaux d’eau bouillante jonchent le sol, enfumant et réchauffant l’atmosphère. L’ayant vu faire à Fès, je me douche avec un petit pot en plastique. Arrive une matrone enrubannée d’un foulard noir et portant une ample culotte de même couleur. En parlant avec les mains, elle me fait enlever la mienne et me tartine d’argile. Nous sommes assisses sur la toile, à même le carrelage détrempé; je lui présente mon dos, qu’elle frotte énergiquement avec du savon noir et un gant de crin. Elle pousse mon corps vers le sol et pose ma tête sur sa cuisse droite; Dieu qu’elle est onctueuse, je la prendrais volontiers pour remplacer mon oreiller. Son sein obture mon oreille. C’est parfait, j’ai le tympan perforé et j’ai oublié de mettre un bouchon pour le protéger de l’eau.

On change!

Je couche ma tête sur son autre cuisse.

Bizarre!

Ou je m’habitude ou c’est moins douillet.

Le dos et les côtés étant faits, elle passe à mon ventre et mes seins. Elle n’oublie aucun repli. Je dois être rouge comme une écrevisse. Comme un sphinx, je m’étends dur le ventre, elle masse mes pieds en remontant vers les cuisses. Ensuite, je pivote et pose les pieds sur les siennes, elle continue de frotter inlassablement une main après l’autre.

La plante de mon pied touche à présent son pubis. Et l’autre ne va pas tarder à le faire. Elle tire sur mes jambes et nettoie le bas de mon ventre. Je ne sais où mettre les bras, aussi je les place sur ses pieds. Au point d'intimité où nous en sommes!

Je regarde mon corps, il est couvert de raclures.

Purée que j’étais sale.

Juste à côté de notre couple, une mère et son enfant, sont enlacés dans la même position. Et d’autres femmes dans le hammam suivent le même rituel, se lavant seules ou en couple. Un bon rinçage à l’eau bouillante et la séance se termine!

La masseuse me rend ma petite culotte bien essorée et repliée. Je n’ai plus qu’à m’habiller et à réintégrer ma chambrette.

Les bains thermaux sont des lieux que j’affectionne. Que ce soit à Baños en Equateur où je me suis évanouie, assaillie par la chaleur alors que la famille d’Alexandra continuait à deviser dans l’eau bouillante, au pied du volcan Tungurahua ou en Colombie, dans les bains de Santa Clara pendant qu'Angelica partageait une bière avec ses parents, oncles et tantes ou en Iran, au milieu des maillots roses et tigrés des bains publiques de Sarein ou dans l’eau soufrée des bains Nr5 de Tbilissi en Géorgie, dans la salle commune fatiguée des plus vieux bains de la capitale.

Le pont de la Paix à Tbilissi - Géorgie

Aujourd’hui, c’était jour des courses. Aucune paranoïa que ce soit au magasin d’alimentation ou à la pharmacie. Pas de masques, juste un écran de plexi qui me sépare d’un personnel très aimable. Est-ce la campagne qui rend les gens moins agressifs ou les journaux qui exagèrent?

Jeudi 16 avril :

Maman vient de partir aux urgences en ambulance. Suite à sa chute de mardi, elle souffrait le martyre. Elle doit passer une radiographie pour s’assurer qu’elle n’a rien de cassé. Heureusement , ce ne sont que des contusions. Elle est alitée pour dix jours. J’espère qu’elle ne nous a pas rapporté de cadeau empoisonné de ses voyages en ambulance. Voilà des semaines que je la somme d’être prudente pour éviter les hôpitaux mais elle n’en a cure. La Reine Mère a nonante ans et n’en fait qu’à sa tête.

Les deux ambulanciers qui l’ont accompagnée, ne s’occupent que des urgences non covid. Ils voient leur charge de travail diminué car les gens confinés chez eux recourent moins à leurs services.

Sortir de la maison, rouler à vélo jusque chez maman qui habite Bomal, mon ancien village, me fait croiser de nombreuses connaissances. Nous avons tous besoin de contacts et de savoir comment nos amis passent le cap. Je m’arrête et nous discutons d’un côté à l’autre de la route, assez large que pour respecter la distanciation sociale. Je viens de parler avec ma voisine, à travers la haie mitoyenne. Elle est médecin généraliste au Grand-Duché du Luxembourg et se défend d’abandonner ses clients. Ses revenus ont diminués de 70% depuis le début de la pandémie. Puis, je passe chez Jojo, un autre voisin qui me donne une douzaine d’oeufs et me déclare ne pas posséder de carte bancaire : « ça n’empêche pas le pharmacien de prendre mon argent » me dit-il. Tout le monde sait qu’il n’a pas d’odeur!

A propos du covid, à ce jour, on recense 4.440 décès en Belgique. Certains s’étonnent de l’importance de ce chiffre par rapport à d’autres pays voisins mais le comptage incorpore aussi tous les cas suspects, c’est à dire tous ceux qui ne sont pas passés par l’hôpital ou qui n’ont pas été testés. Il y a peu, il n’y avait aucun dépistage dans les maisons de repos alors qu’elles rencontraient un taux élevé de surmortalité ces dernières semaines.

Le confinement est prolongé jusqu’au 3 mai. Seuls les jardineries et les magasins de bricolage pourront recommencer à travailler. Emilie ne peut toujours pas ouvrir son magasin de fleurs. Comme la fête des mères est dans trois semaines, elle aimerait s’y préparer. Elle réfléchit à proposer des commandes de bouquets standardisés via internet et à les livrer. Elle peut le faire tant qu’elle n’a pas de contacts avec ses clients. Un de ses collègues s’est fait prendre à mettre une plante dans le coffre d’un client. Il a écopé de 750 euros d’amende et le client de 250€.

Les visites dans les maisons de repos sont à nouveau permises mais cette autorisation fait polémique et la Flandre l’a déjà annulée. L’intention est louable car la solitude et le manque de relations sociales tuent autant que le virus.

Le déconfinement commence tout doucement en Europe.

Vendredi 17 avril :

Ah Coco, ce matin sur WhatsApp, j’avais envie de passer ma main sur ta petite tête comme le faisait ta maman sur l’écran et de sentir le parfum de tes cheveux. Quelle frustration de ne plus vous voir. Et pendant ce temps, tu grandis sans que nous puissions admirer tes progrès. Il parait que tu joues souvent à nous téléphoner mais quand c’est la réalité, tu restes muet à nous regarder. Quelle frustration!

Le chanteur Christophe vient de mourir! Je n’aime pas employer les mots « disparus » ou « partis » . Ça donne l’impression que nous les avons perdus et que nous ne les retrouverons pas. Hors, sa musique restera une des meilleures de la chanson française.

Ecoute « Aimer ce que nous sommes » album sublime dont la pochette a été créée par le photographe belge Stefan de Jaeger. C’est une composition de Polaroïds dont l’ensemble déstructuré redonne une nouvelle photo.

La première fois que j’ai entendu sa chanson « les mots bleus », j’ai été submergée par le rythme et la poésie. Je l’écoutais en boucle avec mon amie Andrée. J’avais quinze ans et je vivais chez elle pendant la semaine. Avec l’étonnante reprise de Bashung, c’étaient deux pans de ma vie qui se télescopaient.

Un soir, perdus sur une petite place vénézuélienne, attendant notre tour devant un foodtruck, une vieille américaine s’est garée et par les portes ouvertes, « Aline », le tube de Christophe dans les années soixante a retenti à tue-tête. Après un moment de surprise, nous avons repris le refrain avec la même intensité. Ce fut un moment magique au bout du monde!

Queensferry North - Scotland

J'avais dessiné sur le sable

Son doux visage qui me souriait

Puis il a plu sur cette plage

Dans cet orage elle a disparu

Et j'ai crié, crié

Aline

Pour qu'elle revienne

Et j'ai pleuré, pleuré

Oh! J'avais trop de peine


Tu te demandes sans doute comment nous nous sommes retrouvés là-bas? Un simple troc. Nous avons accueillis de nombreux étudiants étrangers. Luis est resté un an chez nous et nous avons été reçus dans sa famille au Vénézuela. Le soir en question, nous étions partis avec toute la famille en minibus dans les Llanos. Le père de Luis avait égaré l’adresse de la maison d’hôtes où nous comptions nous arrêter. Il se souvenait juste qu’elle était située sur la place Bolivar.

Il s’arrêtait dans chaque village pour demander où se situait cette dernière.

Le problème, c’est que dans chaque village, il y en a une. Tu t’imagines le pèlerinage, à la nuit tombée, sans éclairage urbain, à chercher cet hôtel. Et, nous y sommes arrivés!

Avec Jorge, nous nous sommes retrouvés au Mexique, avec Alexandra, en Equateur et avec Angelica, en Colombie. Partout, nous étions papa et maman reçus sur place par Padrecita et Madrecita. Etre accueillis dans une famille est le must pour comprendre le pays.

Samedi 18 avril :

Aujourd’hui, le débat porte sur la déshumanisation de la société.

Le groupe en charge de la stratégie de déconfinement ( GEES ) ne comporte que des spécialistes sanitaires ou économiques. Aucun représentant des sciences humaines et sociales. Un comité de cent vingt-trois chercheurs et chercheuses a proposé ses services académiques aux décideurs politiques car nos comportements actuels entraînent une déshumanisation qui risque de laisser des traces : les jeunes sont bloqués chez eux, pas de copains, pas de petit ami(e) - les réseaux sociaux, c’est bien, mais le contact c’est mieux - les funérailles sont à huis clos, sans visite, cela ne respecte pas nos habitudes, nous qui aimons « partager nos morts », les fêtes de famille n’ont plus lieu, la distanciation nous empêche de témoigner par un baiser ou une embrassade, notre amour ou notre sympathie, sans parler de la surveillance policière et du traçage qui nous effraient et risquent de rogner nos libertés.

La pluie est enfin au rendez-vous, même si elle nous cloue à l’intérieur, elle est nécessaire car la terre à soif. Depuis plusieurs semaines, nous avons un temps magnifique mais le printemps nécessite de l’eau pour hydrater toute cette nature en plein développement. Tout comme nous avons besoin de liberté pour ne pas nous pétrifier.

T'ai-je déjà parlé du président des Etats-Unis, le milliardaire Donald Trump, un vrai show man qui tweete plus vite que son ombre. Ces messages sont toujours à l’emporte-pièce et il n’hésite jamais à se contredire. Pour l’instant, il a refilé la patate chaude du confinement aux gouverneurs mais les presse de réouvrir pour soutenir l’économie. Il attaque principalement les gouverneurs démocrates et les apostrophe au cri de : « Libérez le Michigan, libérez la Virginie », exhortant ses militants à défier l’autorité pour réclamer leur liberté de circulation.

Ce type est fou et dangereux!

Les Etats-Unis sont devenus le premier foyer mondial avec près de 40.000 morts. Plus de vingt- deux millions d’Américains se sont retrouvés au chômage en quatre semaines dans un pays très mal préparé à la pandémie


De la série " Nationale 4"


Dimanche 19 avril :

Depuis quelques jours, j’ai recommencé les réveils matinaux pour aller lever maman, lui faire à déjeuner et ouvrir la porte à l’infirmière.

La société de pêche a procédé à un rempoissonnement mais comme la pêche est fermée, ce sont les hérons qui en profitent. En remontant le long de la rivière à vélo, j’en ai vu plusieurs, sentinelles hiératiques, frémissant à la moindre alerte.

Nous sommes partis pour cinquante kilomètres. Le temps est frais et la pluie d’hier n’a rien humidifié, juste quelques gouttes vaporisées sur une terre bien trop sèche. Le jaune d’avril resplendit après le blanc de mars. Ce sont les pissenlits à foison, les genêts d’Ardenne, les primevères et les euphorbes qui remplacent les nuages de mousseline blanche des prunelliers et des merisiers.

Les Belges qui ont tous une brique dans le ventre - et non pas, une frite quoiqu’on en dise - sont heureux car les magasins de bricolage et les jardineries sont ouverts depuis hier matin. Ce sont de longues files d’attente pour y accéder.

Je corresponds beaucoup avec Irène, une Allemande de Cologne qui vient chez nous depuis treize ans. Elle et Mathias, qu’elle surnomme Matteo, passent, chez nous, plusieurs W.E par an. Ce sont devenus des amis et notre maison une de leur seconde résidence car ils voyagent beaucoup. Vivant dans un petit appartement, sans enfant, leur plaisir est de visiter le monde. Ce sont de vrais Baby boomer ceux contre lesquels les jeunes actuels fulminent les rendant responsables de la destruction de la terre. Ce sont pourtant mes semblables, rejetons de parents ouvriers - le grand-père d’Irène venait de Pologne - qui ont tout fait pour améliorer la qualité de vie de leur descendance.

Notre enfance était un monde étriqué par l’éducation religieuse, l’école et la famille. Nos vêtements avaient plusieurs vies et passaient de l’un à l’autre (même les soutiens gorges défraîchis). Nous vivions dans les souvenirs familiaux de la deuxième guerre et les tensions Est - Ouest. Nous partions en vacances à cinquante kilomètres et parfois pour quelques jours à la mer du Nord. C’est la chute du mur de Berlin qui nous a ouvert d’autres horizons, le monde est devenu un village. Nous avons alors réalisé nos rêves : aller et retourner à Istanbul, voir Venise, découvrir Madrid et l’Andalousie puis les faire découvrir à nos parents et enfants. Nous sommes partis en Grèce par des vols « Virgin » qui ne coûtaient rien. Le monde nous ouvrait les bras.

Avons-nous eu tort d’en profiter?


Lundi 20 avril :

Deux fenêtres ont été remplacées dans les chambres d’hôtes et ce matin, j’ai commencé à repeindre la pièce. Dans l’après-midi ensoleillée, j’ai été cueillir des pissenlits pour en faire de la gelée.

Nous sentons que le confinement pèse de plus en plus, les gens ont envie de se revoir. Hier, en balade, Lucie a croisé une amie de classe et est repartie avec elle pour une demie-heure. Mon frère est passé à la maison et nous avons ouvert une bouteille de Beaujolais, installés aux quatre coins de la grande table.

Au niveau de l’épidémie, il y a des signaux d’amélioration : moins de patients aux soins intensifs, un nombre d’hospitalisations stable et des décès annoncés moins importants que la semaine dernière. A ce jour, 5.828 morts.

L’Allemagne commence le déconfinement, le Luxembourg va emboîter le pas.

Mardi, les drive-in de Mac Do rouvriront. La malbouffe prend déjà les devants alors que le déconfinement n’est pas encore programmé. Il me semblait pourtant que cette épidémie allait révolutionner notre vie!

Mardi 21 avril :

Hier soir, ta maman m’a envoyé des photos de votre ultime balade de 14km autour de Liège. J’adore la première avec Géraldine et Paola, la fille étant aussi grande que la mère et le dernier cliché où tu trottines derrière ta soeur, sur les trottoirs en pente de la colline de Cointe. Tu ressembles à un petit lutin, résolu et curieux de découvrir ton environnement.

Le calme du village est déjà chamboulé. Le ballet des camions qui se fournissent à la carrière a recommencé. Nous sommes quelques uns dans le village a surveiller cette entreprise. Il y a six ans, elle a voulu s’agrandir et nous avons constaté qu’elle travaillait sans permis. Après avoir averti les autorités, ce problème a été résolu. L’entreprise aimerait s’agrandir et une révision de plan de secteur a été sollicitée pour changer l’affectation de terrains qui l’entourent. Ce sont des terres calcaires de très bonne qualité agricole, situées dans un endroit remarquable, cernées de bois labellisés «Natura 2000» et à proximité du site mégalithique de Wéris. Nous avons introduit avec notre groupe citoyen un recours au Conseil d’Etat mais nous nous sommes fait débouter. Une nouvelle étude d’incidence est en cours pour l’obtention du permis d’exploitation de ces nouvelles terres.

Mercredi 22 avril :

Je viens de terminer ma gelée de pissenlits. Il m’a fallu les pétales de quatre cents fleurs pour cinq pots de cramaillotte. Un délice! En montant vers la réserve naturelle qui surplombe le village de ses terrains calcaires, rendus au pastoralisme, je suis tombée sur les premières orchidées en fleurs. Quand nous étions partis en Equateur, une amie m’avait demandé de prendre des photos d’orchidées, plantes qu’elle adore. Je suis revenue bredouille. Au printemps, je lui ai proposé de découvrir celles de notre région : Orchis tacheté, néoties - nid d’oiseau et platanthères ont satisfait sa curiosité.

Dans la matinée, quand je reviens de chez maman, la lumière sur la rivière est somptueuse. Les premiers prés sont fauchés et la rosée les rend brillants. Les pattes bien ancrées dans l’herbe couchée et humide, le héron attend sa proie de même que le chat roux tapi entre les andains.

Notre balade vélo nous emmène dans le bois de Ny, à la cueillette de l'aspérule odorante pour préparer le maitrank. C’est une boisson typique du sud de la province de Luxembourg.

Aspérule odorante

Recette du maitrank :

pour un litre de vin blanc luxembourgeois, Elbling de préférence, sept morceaux de sucre, une feuille de cassis, une orange bio, un verre de porto blanc et un de cognac, un morceau de cannelle et quinze branches d’aspérule non fleurie. Laisser macérer vingt quatre heures puis filtrer et mettre en bouteilles.

La confiture que je prépare avec les oranges qui ont macéré dans le vin et la rhubarbe du jardin est ma médaille d’or. Il faut dire que c’est moi qui donne les distinctions!

L’année prochaine, nous devrons chercher un autre bois car l’ombre se resserre et l’aspérule qui préfère un sous-bois plus éclairé, disparaît peu à peu.

Dans le journal du jour, une page entière est consacrée à la façon de porter correctement un masque. Dire qu’il y a quelques mois, quand nous croisions un Japonais masqué nous le prenions pour un excentrique.

Il y a de beaux portraits à prendre avec ses masques de toutes les couleurs fabriqués maison!

Un effet secondaire du covid et de la récession économique est la diminution du prix du pétrole. Il se négocie au prix de l’eau!

Jeudi 23 avril :

Ce matin, j’ai amené Mamy, masquée et gantée, chez l’ostéopathe qui est mon oncle Jacquot. Le temps de la séance, j’ai été saluer ma tante Roselyne. Nous sommes restées à bonne distance l’une de l’autre à papoter du Covid, bien sûr, et des photos de sa famille que je suis en train de scanner, en dressant l’arbre généalogique.

Juste avant que je ne parte, elle a sorti un épais registre de comptabilité dans lequel ses parents avaient écrit leur vie. Pour moi, ce sont 300 pages de pur bonheur que je me réjouis de lire et d’annexer aux photos.

Cette nuit, Emilie a reçu ses premières fleurs, en direct de Hollande. Le reste, elle est allée le chercher chez un grossiste à Ciney. Elle est heureuse de recommencer à travailler. Elle est diplômée des HEC mais a toujours préféré enfouir ses mains dans la terre et travailler dans les fleurs. Elle n’a pas l’autorisation d’ouvrir le magasin. Elle doit prendre les commandes et livrer celles-ci, sans aucun contact avec les clients.

La journée se termine, je vais m’assoir dans mon hamac, suspendu au tilleul qui jour après jour débourre et laisse sortir son feuillage. Cet arbre, nous l’avons planté pour la naissance d’Alice. Il est majestueux et ombre nos après-midi d’été en plus de nous donner ses fleurs pour un délicieux thé que je prépare avec quelques roses que j’ai ramenées de Tabriz et que Lucie adore.

Je vais terminer « la fabrique des salauds » qui n’arrive pas à la cheville du roman d’Edgar Hilsenrath « le barbier et le nazi » que notre ami Frédéric, nous avait fait découvrir il y une dizaine d’années.

Vendredi 24 avril :

C’est l’anniversaire de ton arrière grand-mère, la maman de Pépère. Elle aurait eu 85 ans. C’était une belle-mère adorable, nous nous entendions très, très bien. Une belle femme de caractère, pleine d’amour pour ses enfants et son mari qui d’un naturel plus paresseux, a beaucoup profité d’elle. A vouloir tout gérer à la perfection, son couple, son ménage, sa famille - elle avait des doigts d’or, cousait et tricotait des merveilles - elle s’est enfoncée dans une déprime alcoolique. Elle n’en est jamais sortie et est morte à 56 ans.

Chaque fois que j’entre dans ma chambre, je longe ton lit dans lequel attendent les derniers vêtements qui trainaient encore chez nous. A ta prochaine visite, ils seront trop petits.

Voici plusieurs jours que je ne regarde plus la télévision. Ce sont toujours les mêmes reportages. Les applaudissements de 20 heures qui deviennent des obligations. Les âneries de Trump : hier soir, il suggérait d’envoyer du désinfectant directement dans les poumons comme si le corps humain était une citerne à récurer. A New York, un habitant sur deux est positif et il y a déjà plus de 50.000 morts dans le pays.

Par contre, je suis curieuse d’entendre le conseil national de sécurité qui se réunit aujourd’hui et va nous donner sur base des recommandations des scientifiques, les pistes du prochain déconfinement.

Sans télévision, c’est ma bulle internationale qui se referme mais la locale s’ouvre de toutes parts. Ma belle-soeur Catherine vient de s’arrêter quelques instants. Christophe est passé chercher Didier pour un tour à vélo. Olivier m’a déposé ma commande de farine. Nous prenons des nouvelles des voisins et constatons tous que nous nous habituons très bien à ce rythme peinard.

Ici, je parle pour les personnes de plus de cinquante ans, je ne sais pas si les jeunes seraient d’accord avec moi.

La coalition climat qui regroupe plus de 70 organisations du pays réclame d’être associée à la réflexion sur la relance qui ne doit pas être uniquement économique mais également environnementale et sociétale.

C’est le moment de changer une économie très polluante et inégalitaire. Il faut remailler l’économie locale, construire un habitat durable, proposer une alimentation saine et une mobilité réfléchie et efficace car notre ancien système présentait beaucoup d’incohérence. Pour cela, il faut utiliser l’intelligence collective.

Emilie est contente de ses ventes et fort émue car, au cours de ses livraisons, elle a rencontré des personnes touchées au coeur par la réception de leur bouquet au point qu’elles pleuraient d’émotion.

Samedi 25 avril :

Tard dans la soirée de vendredi, nous avons pris connaissance des mesures de déconfinement. Il commencera en partie le 4 mai par la reprise du travail, la hausse des fréquences des transports en commun où le masque sera obligatoire et la pratique de certains sports.

Le 11 mai, ce sera la réouverture de tous les autres commerces exceptés les cafés et restaurants qui ne rouvriront qu’au plus tôt le 8 juin. Rouvrir tous les commerces est risqué au point de vue sanitaire mais nécessaire économiquement. Les scientifiques, pour leur part, préconisaient un déconfinement plus lent, laissant la place à l’humain avant l’économique. Les écoles ouvriront le 18 mai pour certaines classes, certains jours et en nombre réduit. C’est également le même jour que le confinement familial devrait être assoupli. Toutes ses mesures sont évolutives et à affiner.

Nous sommes prévenus que nous pourrions à tout moment revenir au confinement si la situation se détériorait.

Dimanche 26 avril :

Je crois que je déprime. J’ai tout le temps envie de pleurer. J’ai l’impression que tout ce que nous avons construit avec nos enfants et petits-enfants se détricote. J’ai besoin de les serrer dans mes bras, de les « renifler » comme une chatte le fait de ses petits.

Tous les dimanches matin, Eric s’arrête pour prendre de nos nouvelles. Il descend à vélo de Villers pour venir chercher les petits-pains. Nous en profitons pour papoter quelques minutes. Pendant ce temps, Emilie passe, elle est en livraison et s’arrête boire un café. Nous restons tous sur le trottoir, à bonne distance. C’est incroyable! Ce ne sont pas nos valeurs d’accueil que de recevoir nos amis sur le pas de la porte sans les faire entrer.

Hier, Salomé, la nièce d’Emilie avait 18 ans. Ses amis sont venus sur la place de la ville où elle habite et ont klaxonné de concert avec des calicots pour lui souhaiter son anniversaire. Pas de contact physique, pas de fête. Pauvre jeunesse! Et nous, les baby boomers, nous pédalons à tire larigot sur nos vélos électriques, entretenant notre santé et risquant bien de devenir centenaire.

Au cours de ma randonnée du jour, j’ai croisé Cecile et Jean-Pierre, rien à faire, nous tombons toujours sur une connaissance ou l’autre. Pendant que nous papotions, j’ai entendu le premier coucou, j’ai fait le voeu de vous revoir bientôt. J’espère que cela se réalisera car je n’avais aucune pièce de monnaie en main comme le veut la tradition. Vu que tout est fermé, nous nous baladons partout sans argent.

Lundi 27 avril :

Hier, nous étions au quarantième jour de la mal nommée quarantaine. Il parait que dans les sous-marins, c’est le plus difficile à passer.

Fabian, ne sait toujours pas quand il pourra recommencer ses consultations à l’hôpital. Il est toujours en horaire réduit ce qui lui laisse le temps de ressortir ses partitions de piano et de jouer de la cornemuse. Une maison de repos lui a demandé de venir jouer pour ses résidents. Un concert au Nord et un autre au Sud puisque les pensionnaires ne peuvent pas sortir de leur chambre. De toute façon, vu la portée de l’instrument, je crois qu’on l’entendra aux quatre points cardinaux.

C’est une autre façon de soigner les malades.

Edinburgh - Scotland


Mercredi 29 avril :

La quarantaine de soleil est terminée, le temps est plus frais mais pas assez pluvieux. Les semis de radis et d’épinard vont rouspéter!

Dans notre quotidien, les nouvelles tournent encore et toujours autour du Covid et de ses conséquences. A ce jour, nous avons en Belgique 7.331 morts mais la courbe commence à s’infléchir.

Aux Etats-Unis, et là, je cite le Huffingtonpost :

ÉTATS-UNIS - Le nombre de malades décédés en deux mois du nouveau coronavirus aux États-Unis dépasse désormais celui des soldats américains tués en deux décennies lors du conflit au Vietnam, selon le dernier comptage actualisé ce mardi 28 avril par l’université Johns Hopkins.

Avec 2207 décès supplémentaires du nouveau coronavirus en 24 heures, le bilan journalier américain est reparti à la hausse mardi, selon le comptage de l’université Johns Hopkins qui fait référence.

Au total, 58.365 personnes ont succombé au Covid-19 dans le pays, le plus touché sur la planète. En tout 58.220 militaires américains ont perdu la vie lors de la guerre du Vietnam (1955-1975), selon le bilan officiel publié aux Archives nationales.

Même si les deux événements n’ont rien à voir, ce seuil revêt une portée symbolique tant la guerre du Vietnam demeure l’un des plus grands traumatismes vécus par les Américains au XXe siècle.

A Bruxelles, la ville vient de tracer un réseau cyclable en urgence pour désengorger les bus et le métro. Il apparait que la moyenne des déplacements en ville se situe aux alentours de cinq kilomètres, une distance facile à parcourir à pied ou à vélo. Des bandes de circulation automobile vont être reconverties en piste cyclable et des noeuds dangereux aménagés avec un nouveau traçage au sol. Ce dispositif qui offrira 40 km sur les grands axes est installé pour quelques mois. Le temps d’attente aux feux rouges avaient déjà été revu à la baisse pour les piétons. C’est une mesure qui permettra de mieux respecter la distanciation sociale et qui est bénéfique pour la santé et l’environnement. Puisse t’elle perdurer!

De la série : Symposium de sculpture de Durbuy

Heureusement, le sourire passe également par le regard!

Ce matin, nous avons reçu de l’administration communale, un prospectus pour réaliser nous même un masque conforme. Je ne peux me retenir de recopier le texte qui l’accompagne : «Il n’est qu’un pis-aller en ces temps de disette, il ne protège que partiellement et doit être combiné avec toutes les autres précautions d’usages. C’est juste « mieux que rien» .

On se sent vraiment épaulé! La Première Ministre en a promis un pour tous les Belges pour le déconfinement du 4 mai mais j’ai comme l’impression que comme soeur Anne, nous ne verrons rien venir!

Je suis très contente, ce journal va paraître sur le site mis en place par la revue en ligne « Pourtant ». C’est avec toutes nos expériences et nos façons de l’aborder que nous pourrons le mieux cerner l’universalité de cette pandémie.

Comme le souligne Anton Tchekhov : « Si tu veux être universel, tu parles de ton pays « .

La crise financière vient de s’introduire dans notre boîte aux lettres. L’épargne pension que nous mettons de côté depuis des années et que nous espérons bientôt toucher vient de perdre 13%. Patatras, on touche encore un peu plus à notre portefeuille!

Vendredi 1er mai :

Je viens de passer dans le vallon de Pont-le-Prêtre pour voir si les muguets étaient fleuris. Un brin solitaire pointait sa tête au milieu des feuilles lancéolées. Ce petit porte bonheur sème la zizanie entre les fleuristes qui ne peuvent pas ouvrir leur magasin et les jardineries et grandes surfaces qui « volent » leur part de marché. Certains fleuristes ont fait des dépôts de muguets chez d’autres commerçants qui, par solidarité, vendent pour eux. Quelle galère!

Emilie dort mieux depuis qu’elle a recommencé à travailler mais elle dort moins car au magasin, sans son personnel, elle doit tout gérer seule : l’approvisionnement, les commandes au téléphone, la confection des bouquets et leur livraison. Cela lui fait des journées très chargées. Ta cousine Alice est frustrée de ne pas pouvoir l’accompagner en voiture. Au point qu’elle va s’asseoir à l’avant du transporter pour faire « comme si » . Pauvre Alice, elle a quatorze ans et à son âge je goûtais la liberté. Chaque été, au même âge, je partais avec mon amie Anne pour trois semaines en Angleterre chez des Anglais que ses parents avaient connus à Boma, en Afrique.

Nous mettions une journée pour rallier Leatherhead à quarante kilomètres de Londres : trois heures de train pour Ostende, quatre heures avec la malle jusque Douvres - par beau temps, tous les jeunes étaient sur le pont, nous étions confrontées à de beaux indiens, à des Rasta, à d’autres langues, d’autres habillements, nous venions d’une petite ville d’Ardenne et ne connaissions rien au monde - puis trois heures jusque Waterloo Station où John venait nous chercher avec sa Vauxhall Cavalier. Nous voyagions seules. Chez John, nous écoutions la comédie musical Hair en boucle, nous partions en train pour la capitale, découvrions Carnaby street et la culture anglaise. A l’époque, nous n’avions pas internet, ni les réseaux sociaux, pas de téléphone portable, ni carte bancaire. A Londres, nous nous sentions loin, très loin de chez nous.

Pauvre Alice, obligée d’attendre le feu vert du coronavirus pour quitter la maison!


Samedi 2 mai :

Didier construit un bac de culture en bois. Hier, il l’a monté et maintenant il le remplit comme une lasagne : une couche de bois mort, une de feuilles, une de tonte d’herbe, une de fumier etc. Cet été, tu pourras cueillir les fraises qui pendront au-dessus de ta tête.

Quelques extraits de l’interview de Erika Vlieghe, présidente du groupe d’experts en charge du déconfinement : « Nous pensons que nous arrivons tout doucement en zone sûre avec 40% d’occupation des lits en soins intensifs, moins de 200 nouvelles admissions quotidiennes….nous avons les garanties que testing et tracing sont mis en place et vont être étendus les prochains jours. Ce plan prévoit de tester les premier contacts proches et symptomatiques….De toute façon, un masque, c’est juste le glaçage sur le gâteau, ça peut réduire peut-être d’une dizaine de pour cent le risque. »

Dimanche 3 mai :

Aujourd’hui, je comprendrais que l’on prolonge la rétrospective de Stephan Vanfleteren au MOMA d’Anvers pour que je puisse quand même la visiter, j’apprécierais de faire un tour sur le marché de saint Pholien pour réentendre ce délicieux accent liégeois, je souhaiterais faire un énorme hug à tous mes petits-enfants, j’adorerais être invitée à un concert de Franzoise Breut, j’aimerais partager un délicieux repas sur la terrasse de Jürgen avec toute ma famille ou déguster un Orval à la taverne Saint-Paul et je rêverais de m’affaler dans un fauteuil du cinéma Churchill. Tu me trouves exigeante? Mais aujourd’hui, je peux rêver car j’ai un an de plus. Quoique tu penses, je ne me plains pas du tout de cette quarantaine qui me laisse maître de mon temps. J’en ai pour écrire, lire, jardiner, photographier, marcher mais malgré tout il manque toujours quelques petits riens qui font que la vie est plus agréable.

Tout doucement, on perçoit du laisser-aller dans le confinement, des pelouses tondues dans des secondes résidences et des lumières qui brillent dans leur intérieur. Les gens recommencent à bouger discrètement. Les enfants sont venus à vélo avec un gros plat de mousse au chocolat pour souhaiter mon anniversaire. J’avais préparé une glace vanille. Quel plaisir de les voir!

Lundi 4 mai :

C’est le début du déconfinement. Il faudra attendre quinze jours pour en connaître les résultats.

Didier vient de commencer un carnet de traçage, suite aux visites d’hier : celles de nos enfants et d'un couple de voisins que nous avons souvent l’occasion de voir.

Depuis ce matin, des ombres discrètes bougent le long de la rivière. Les hérons peuvent bien se tenir à carreau, la concurrence est de retour : la pêche est enfin ouverte!

Sur les chemins, les aubépines sèment leurs pétales tels des confetti. Avec nos masques, nous pourrions nous croire au carnaval!

Mardi 5 mai :

La rentrée a été tranquille dans les transports en commun. La fréquentation est faible et la distanciation sociale bien respectée. Le trafic routier a augmenté mais est bien inférieur à un trafic « normal », c’est à dire d’avant la pandémie.

L’approvisionnement en masques est tellement catastrophique malgré « un ministre des masques » que de nombreux bénévoles aident les autorités à confectionner et distribuer ceux-ci. Aussi ce matin, dés potron-minet, il y avait des files devant les merceries, les seuls magasins à rouvrir. Les autres commerces pourront le faire la semaine prochaine, à partir du lundi 11 mai.

Les démarchages par téléphone recommencent! Un signe que l’économie sort de sa léthargie?

Cet après-midi , nous avons pris rendez-vous pour réparer notre pneu crevé. Le garage se trouve à l’entrée de Liège. J’accompagnerai Didier et nous en profiterons pour faire un saut de l’autre côté de la Meuse et vous revoir. Je suis toute excitée par cette perspective. Je t’ai acheté un camion de pompier au petit magasin d’alimentation du village. Il vend un peu de tout et cela est bien pratique. Quand tu circules en ville avec tes parents, tu es fasciné par les camions. Tu t’arrêtes longuement pour les regarder. Ta maman te sort souvent le mercredi, jour des camions poubelles!

Je viens de te parler sur WhatsApp, tu as l’air aussi excité que moi.

Didier est dans son potager. Il vient de débusquer un orvet et poste la photo sur le site familial. Lucie et Paola envoient des émojis horrifiés. A leur âge, je l’étais tout autant surtout quand ma voisine en portait autour de son cou, l’arborant tel un collier. C’est un indicateur de qualité du sol et un ami du jardinier.

Nous voilà devant chez toi, la porte s’ouvre et tu apparais avec un sourire inoubliable. Pas besoin d’appareil photographique pour le garder en mémoire. Tu n’entrons pas dans la maison et partons nous balader une demi-heure dans le parc voisin. Tu trottines avec ton nouveau camion sous le bras droit. Le gauche scande ton rythme de marche. Comme un petit vieux, tu fonces les épaules en avant. Tu es pressé d’avancer mais surtout, surtout tu ne nous as pas oubliés. Tu te retournes régulièrement pour vérifier

que nous sommes bien là.

Mercredi 6 mai :

Ce matin, nous devions prendre l’avion pour retrouver nos amis en Corse. Ils y font du home-sitting. Leur rêve de retraite était de partir vers le sud. Nos retrouvailles en octobre dernier avec le récit de leurs aventures nous avaient bien déridés.

Durbuy est la destination privilégiée des motards de la capitale et du nord du pays. Ils adorent se prélasser sur les terrasses. Depuis lundi, ils peuvent à nouveau circuler. En voir un, cet après-midi, décapsuler sa canette de bière, solitaire sur la place déserte m’a fait sourire.

Jeudi 7 mai :

Bonne nouvelles, la Première Ministre a annoncé qu’une visite à un proche était à partir de dimanche un déplacement essentiel. Mardi, nous avions juste devancé cette mesure. Seule restriction, ce sera pour un maximum de quatre personnes et toujours les mêmes.

Hier, nous avons été à la collecte de sang de la Croix Rouge, la file respectait la distanciation sociale et chacun portait le masque. Tout se faisait d’une façon naturelle. Les patients faisaient preuve de civisme et les habitudes semblent déjà bien adoptées. N’empêche que le masque m’étouffe, je préfèrerais une visière qui descend jusqu’au menton.

En demandant ironiquement à Didier de respecter la distanciation sociale, j’ai tendu mon bras et posé la pointe de mes doigts contre son épaule. C’est un geste que nous devions faire au cours de gymnastique pour nous séparer et former de beaux alignements. Nous pratiquions déjà la distanciation sociale sans le savoir.

Didier a sorti sa moto mais tourner en rond dans le pays, sans possibilité de s’arrêter n’est pas sa tasse de thé. C’est un routard!

Une année, il est descendu jusqu’au Portugal en s’arrêtant une nuit chez Bruno dans le Beaujolais, une chez Jacky dans les Pyrénées et une dernière je ne sais où en Espagne avant de m’attendre devant les portes de l’aéroport de Lisbonne. J’avais enfilé mon cuir dans les toilettes et hop, nous sommes partis sur les routes du Nord, de Galice, des Asturies et du Pays Basque. Une autre fois, il m’a chargée à Ljubljana, en Slovénie. Nous sommes descendus à Ključ en Bosnie, chez son ami Fado puis vers Sarajevo. Ce fut un périple intense humainement. L’exposition permanente de photos de Tarik Samarah sur le massacre de Srebrenica avait remué nos entrailles. Parcourir la capitale, écouter, comprendre et entrer dans sa douleur nous avait bouleversés.

Voilà plusieurs jours que je ne fais plus de comptabilité. Nous en sommes à 8.339 décès.

Les différences entre les pays européens peuvent être énormes. Le Portugal a très tôt fermé ses frontières et déplore peu de morts par rapport à l’Espagne sa voisine. Les pays du Nord, des Balkans ou la Grèce sont moins touchés que nous. Les îles - sauf l’Angleterre - s’en sortent mieux.

Vendredi 8 mai :

C’est le WE de la fête des mères! Emilie n’a pas le droit d’ouvrir le magasin avant le lundi 11 mai. Elle ne peut travailler que sur commande téléphonique et livrer sa marchandise. Acheter et confectionner les bouquets lui prend tout son temps. Aussi vais-je l’aider pour nettoyer les fleurs et effectuer les livraisons. Impossible de la laisser dans la panade. Tout le monde veut fêter sa maman et le téléphone n’arrête pas de sonner.

En manipulant les agapanthes, je me suis souvenue de mon séjour au Rwanda. C’était en 1977, Anne, l’amie avec qui je partais chaque année en Angleterre, avait vécu toute son enfance en Afrique. Son projet était, après sa rhétorique, d’y retourner pour quelques semaines, visiter son oncle, professeur, à Kigali. Nous avions travaillé comme étudiantes pour nous payer le coûteux voyage en avion. Pour financer celui-ci, nous avions un justificatif humanitaire, délivré par les religieuses d’une mission stipulant que nous allions les aider bénévolement. Pour soulager leur conscience, nous avions rangé leur petite bibliothèque pendant deux jours. J’avais dix neuf ans, j’étais partie quatre mois à Anvers pour améliorer le néerlandais puis j’avais commencé à travailler avec mes parents fleuristes en attendant de reprendre des études. Apprenant cela, Léonce, la voisine de Tonton Pierre à Kigali, me proposa de faire toute la décoration florale de sa maison pour les fiançailles de sa fille. Le défi était stressant et tentant. Le choix et l’abondance de fleurs étaient incroyables : agapanthe, anthurium, strélitzia, gerbera…certaines variétés que je n’avais jamais manipulées. A mon grand étonnement, Le travail terminé, les amis passaient, choisissaient un arrangement et y déposaient leur carte. Ils faisaient juste comme s’ils l’avaient offert, sans rien débourser.

Samedi 9 mai :

Je retrouve mes vieilles habitudes. Je livre des dizaines de bouquets. Les mamans sont heureuses, émues ( certaines pleurent ), étonnées ( vous êtes certaine que c’est pour moi? ), complices ( ah, vous aussi, vous attendez que les coiffeurs rouvrent! ), paniquées ( posez-le là ), heureux de me revoir ( tiens, Marie-France, tu reprends du service).

Les grossistes en fleurs ont été dépouillés. Après les tas d’invendus jetés au début de la crise du Covid et les semaines de fermeture des fleuristes ils ont été frileux dans leurs achats. Mais la solution des commandes téléphoniques et des livraisons a été un succès.

Ce jour de fête des mères aura été problématique pour beaucoup de famille car nous ne pouvons voir que quatre personnes à la fois. Un couple vivant sous le même toit ne peut se séparer car le nombre de personnes rencontrées est multiplié par deux. Que va faire Tante Rose avec ses cinq enfants et la vingtaine de petits-enfants : Choisir, laisser choisir, renoncer ou transgresser les recommandations?


Dimanche 10 mai :

Pas le courage d’écrire! Juste celui d’aller faire une petite sieste avec mon masque…sur les yeux.

Ta maman vient de m’envoyer des photos d’un enfant heureux. C’est toi en bottes rouges courant dans les flaques d’eau. Vous sortez tous les jours pour une balade à pieds ou à vélo.`

Comme cadeau de fêtes des mères, j’ai reçu deux menus, livrés à la maison par un restaurant de Durbuy. Je n’ai plus qu’à les réchauffer et à ouvrir la bouteille de vin.

Ce soir, je ne cuisine pas, je vais au resto!

Lundi 11 mai :

Didier peut reprendre ses cours de guitare. Il s’en étonne près de son professeur. Ce dernier lui répond qu’il a droit à quatre visites. En comptant ses deux enfants, il peut revoir deux élèves. C’est sympa pour Didier mais le calcul n’est pas correct. Cette mesure de revoir quatre personnes toujours les mêmes n’a pas été bien comprise.

Luis, notre étudiant d’échange vénézuélien vient de nous écrire. Il est aussi confiné et travaille à la maison. De toute façon, il n’y a plus d’essence pour circuler. Un comble pour un pays producteur de pétrole! Il parle de l’attentat raté mais ne sait quoi en penser, de groupes armés dans les barrios et d’un massacre dans les prisons. Il semble bien loin des manifestions contre le régime auxquelles il participait l’année dernière.

Je viens de faire un tour à vélo, un petit car il fait glacial.

" BLANC " de la série " la couleur dans la nature "


BLANC

Le blanc est une couleur neutre.

Il reflète la lumière à la différence du noir qui l’absorbe et auquel, il s’oppose.

Il est signe de pureté et d’innocence, de paix et d’équilibre.

Il est multiple dans la nature mais rarement pur et se décline en de nombreuses nuances.

Comme les Inuits donnant des noms différents à la neige, nous pourrions lui attribuer une dénomi- nation pour chaque situation.

Le blanc est la couleur du temps atmosphérique, de la brume, du gel, du givre, des nuages, de la neige et des flocons.

C’est la couleur de quelques tissus d’invocation accrochés à l’arbre à loques

des menhirs d’Oppagne.

C’est la couleur de la toison des moutons, des plumes des poules de Jojo ou des poils du mufle des vaches dans le pré.C’est la couleur nacrée du bois de frêne entaillé par les dents du castor, de l’écume de la rivière, de la mousse flottant sur l’eau acide des Fagnes.

C’est le blanc des murs chaulés de Haute Ardenne, le blanc de la Pierre Haina, enduite chaque année par les jeunes du village de Wéris. Cette peinture symbolisant la purification de cette pierre qui, d’après la légende, cache l’entrée des enfers.

C’est l’émail rongé des baignoires servant d’abreuvoir dans les prés.

C’est le grège de la matière brut.

Mardi 12 mai :

La deuxième phase du déconfinement avec la réouverture des magasins s’est déroulée dans le calme - si ce n’est des files incroyables devant les établissements de deux ou trois grandes marques comme Ikea, Decathlon et Primark.

Christiane est un peu mon alter ego au Grand-Duché de Luxembourg. Elle vient de lire ma lettre à Cosimo et reconnait vivre exactement la même situation. Nous sommes vraiment tous sur le même bateau . Pourvu qu’il ne coule pas!

Le monde de la culture vient de cosigner une lettre adressée aux personnalités politiques à la veille de la première réunion censée prendre des mesures les concernant. C’est un secteur particulièrement touché par la crise et oublié des autorités qui réclame un état d’exception qui durera tant que les activités culturelles ne pourront reprendre normalement.

Thérèse, une ancienne collègue de Didier vient d’appeler. Elle rêvait depuis toujours de visiter le Machu Picchu. Elle est partie le 9 mars pour trois semaines en Amérique Latine. Après une semaine en Bolivie, elle est entrée au Pérou au moment où le pays fermait ses frontières. Elle n’a eu que quelques heures pour le quitter dans une ambiance délétère. C’est via le Brésil qu’elle a pu être rapatriée. Elle n’a pas réalisé son rêve mais a eu le temps de tomber sous le charme de la Bolivie.

Mercredi 13 mai :

Il vient d’y avoir un nouveau Conseil National de Sécurité qui annonce que les écoles rouvriront lundi prochain, le 18 mai, de même que les musées, les bâtiments historiques, les coiffeurs, esthéticiennes et marchés en plein air. Les clubs sportifs pourront reprendre les entraînements en extérieur avec un maximum de 20 personnes. Une trentaine de personnes pourront participer aux mariages et enterrements. Les parcs animaliers pourront rouvrir. Nous aurons ainsi le plaisir d’aller regarder les animaux encagés. A chacun son tour d’être enfermé!

La Première ministre conclut qu’il n’y aura sans doute pas de retour à la normale cet été.

Certains pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni ouvrent leurs frontières mais placent les voyageurs entrant dans le pays, en quarantaine.

Ma voisine, médecin, a recommencé ses consultations mais les patients ne se bousculent pas. Ils téléphonent pour demander un justificatif afin de ne pas retourner au travail. Les gens ont tellement été matraqué par les infos qu’ils deviennent paranos. Le pire est de ne pas savoir quand toutes ses restrictions vont s’arrêter. Si certains peuvent recommencer à travailler, beaucoup restent encore inactifs comme les acteurs du tourisme, de la culture, les restaurants et les compagnies aériennes.

Bonne nouvelle, ta maman nous a annoncé votre visite pour demain après-midi. Voilà deux mois jour pour jour que tu n’es plus venu chez nous. Je suis curieuse de voir tes réactions!

Le masque est l’accessoire à la mode. Il attire tous les regards. C’est la nouvelle coqueluche des publicitaires, des artistes mais aussi des cambrioleurs et des arnaqueurs qui tentent d’obtenir les marchés publics par tous les moyens.

Christophe est passé à vélo devant la maison et s’est assis un moment avec nous dans le jardin. Avant la pandémie, cétait un homme qui voyageait beaucoup pour son travail, qui participait à de nombreuses animations, sorties ou spectacles. Pourtant, il apprécie ce nouveau rythme, cette bouffée d’air. Sur le parcours qu’il suit au retour, je lui renseigne l’arbre à clous de Longueville; ceux-ci étaient enfoncés dans l’écorce pour ôter le mal de dent.

Au retour, Il s’arrête pour observer le tronc et me remercie d’avoir partagé ce témoignage d’une ancienne croyance tombée en désuétude.

Le temps est glacial. Ce sont les Saints de glace: saint Mamer, Saint Pancras et Saint Servais. Ce sont les derniers jours où le gel peut encore sévir. Il ne s’en est pas privé, les pousses des patates qui émergeaient de terre sont gelées.

Jeudi 14 mai :

Tout est prêt pour ton arrivée. Pour éviter que tu ne tombes dans les escaliers de la cave, j’ai repoussé l’ancienne poule en bois qui servait de réserve à grains jusqu’au bord du muret. J’ai préparé de la crème glacée à la vanille et des choux à la crème.

Deux heures tapantes, vous vous garez devant la maison. Lucie est déjà chez nous, à attendre sa cousine Paola. Les deux filles s’entendent comme larrons en foire et rient nerveusement de se retrouvées face à face. Elles ont l’habitude de se téléphoner plus d’une heure tous les jours. Elles foncent s’asseoir sur un rocher au milieu de la rivière et Paola commence à lire la lettre qu’elle lui a envoyée sans l’affranchir et qui lui est revenue ce matin. C’est un plaisir de les voir si complices.


Toi, tu entres en trottinant comme un poney. Cette quarantaine ne t’a pas perturbé, tu retrouves directement tes habitudes et tes jouets. Une file de voitures commence à bloquer mon salon. Puis nous allons voir les poules, la rivière. Tu reconnais tout comme si rien ne s’était arrêté le 14 mars. Pendant que tu disloques le bouchon de cinq heures avec ta voiture de police, nous entamons une partie de gin rami avec ta maman. Les cartes, chez nous, c’est une tradition

La relance économique est le nouveau cheval de bataille. L’aide de l’Etat est importante et des voix s’élèvent pour qu’elle soit conditionnée à des critères d’emploi et d’environnement. Elles demandent que les sociétés n’aient pas le droit de verser des dividendes à leurs actionnaires, ni de racheter des actions, qu’elles limitent la rémunération des dirigeants et que soient exclus de cette aide toutes celles ayant un siège fiscal ou une filiale dans des paradis fiscaux.

Emilie a beaucoup de travail. Un décès est survenu hier, à Sy. L’enterrement aura lieu demain. C’est un temps de recueillement très court pour nos habitudes. Tout le monde veut envoyer des fleurs et il n’y a qu’une heure de visite. Elle court donc pour satisfaire tous ses clients. Ici, à la campagne, les voisins et amis souhaitent ou plutôt, exigent que leur gerbe de fleurs soient la première à arriver chez le défunt comme si cette rapidité exprimait leur degré de compassion.

Vendredi 15 mai :

Je pars chercher de la farine au moulin de Lafosse. L’endroit est lugubre en hiver. La vallée est encaissée et l’eau de pluie, abondante en Haute Ardenne, dégoutte sur les parois de schiste mais le printemps réussit à embellir ce bâtiment assez laid. Le meunier Joseph Hubert l’a construit en béton pour qu’il résiste au feu. Celui-ci avait étudié le dessin et l’ébénisterie à Bruxelles et à Liège. Il comptait s’embarquer pour l’Amérique mais il rata fort heureusement son bateau …qui coula pendant la traversée. Il revint à Lafosse où il fut un meunier hors du commun. Il produisait l’électricité pour les villages avoisinants. Le matin pour dire bonjour à sa fille qui logeait chez une tante, il faisait clignoter la lampe. De même le soir pour avertir qu’il arrêtait la roue, ainsi les villageois savaient qu’ils devaient allumer les quinquets s’ils ne voulaient pas se retrouver dans le noir.

Le moulin revit depuis peu grâce à la passion d’Olivier. Les meules broient le grain depuis une année et nous pouvons de nouveau nous y approvisionner en farine et en huile.

Le soir, nous allons à l’anniversaire d’Alice, elle aura quatorze ans demain. Cet après-midi , elle était ravie d’accompagner son père jusque Liège pour l’achat d’une planche à roulettes. Voilà deux mois qu’elle n’était plus partie en voiture. Cette situation de statu quo lui pesait très fort. Ces derniers jours, elle avait tendance à pleurer et déprimer.

Samedi 16 mai :

Franchement, je me demande si je ne deviens pas fainéante : nous faisons la grasse matinée tous les jours, nous ne connaissons plus la sonnerie du réveil, nous déjeunons en paix avec un journal amaigri, nous faisons quelques parts de gin-rami - nous sommes devenus addicts - puis nous papillonnons d’une chose à l’autre sans courir, faisant passer l’accessoire avant l’essentiel. Il me reste cinq châssis à peindre et je ne sais quand je le ferai. Ça ne me ressemble vraiment pas! Est-ce cela, la procrastination?

Une voisine propriétaire de gîte vient de me relancer pour que je cosigne la lettre qu’elle veut envoyer au bourgmestre afin de demander l’annulation des taxes de séjour. Pour l’instant, je m’en sors avec l’aide de l’Etat et la commune aura besoin de cet argent pour combler des rentrées financières qui seront amoindries cette année. Par solidarité avec toute la société, je préfère ne pas signer.

Si je lis le billet de Michel Francard - professeur à l’UC Louvain - le COVID-19 serait féminin. Le D de Disease étant féminin en anglais, il doit le rester en français. Il est trop tard pour inverser mes habitudes et c’est très bien ainsi!

Dimanche 17 mai :

Un lever tardif, une balade à vélo sous un soleil estival à savourer le décor.

Les foins sont couchés, leur parfum de tisane chatouille mes narines. D’autres prés sont déjà à nu, rasés comme des bagnards. Il reste quelques effluves d’ail des ours dans le creux des vallons. Les colzas sont resplendissants et sur les talus les marguerites agitent la tête en jouant avec les premiers coquelicots. J’ai prévenu ma belle-soeur Catherine que je passerai lui emprunter quelques livres; elle nous attend avec l’apéro et un plateau fromage. Nous restons dans le jardin. Cela nous fait du bien de revoir du monde!


Lundi 18 mai :

C’est aujourd’hui, la deuxième étape du déconfinement. Nos petits-enfants reprennent le chemin de l’école. Seules les classes de dernière année primaire - Félix, Lucie et Paola sont concernés et les rhétoriques recommencent. Ce sont deux années qui se terminent par un test d’évaluation. Ils ne fréquenteront leur établissement que deux jours semaine, dans des classes de maximum dix personnes. Ceux-ci sont appelés « silos » ou« bulles », ils rentreront dans l’établissement à des heures différentes et ne pourront être en contact avec les autres silos.

J’ai demandé à Paola et Lucie de me raconter leurs impressions :


Chère Mamy-France,

Tu m’as demandé de t’envoyer une lettre sur mon premier jour d’école après le confinement. La voilà:


Mes attentes, mes peurs: je n’en ai pas (des peurs je veux dire…), par contre, niveau attentes, j’espérais qu’on ne devrait pas laisser notre masque tout le temps.


Mon premier jour:

Déjà, quand on arrive, on doit suivre une sorte de chemin dessiné au sol jusqu’à l’évier pour se laver les mains puis on se dirige vers le couloir qui donne sur les escaliers et on attend la prof dans une petite classe. Pour monter, on doit s’espacer d’un mètre cinquante puis on doit attendre notre tour pour encore se laver les mains, on rentre en classe et on s’assied seul a son banc. J’avoue, on a pas vraiment travaillé, plus parlé. En même temps, avec le masque, on est dans les vapes donc impossible de se concentrer. À dix heures dix, on a pu sortir et retirer notre masque, c’était comme si on avait été dans l’espace et qu’on re-respirait en revenant sur terre… Bon, jusqu’à midi çà a été pareil. Après-midi on a été dans le parc derrière l’école et on a pu enlever notre masque! En rentrant, j’avais le plus gros mal de tête que j’ai eu dans ma vie et je ne voulais surtout pas y retourner le lendemain!

Mon deuxième jour:

Rien de très, très différent sauf qu’on a fait un cours dehors donc on a pu enlever notre masque, même si j’en avais choisi des autres (dans lesquels on respire mieux)… La journée a été bien plus agréable!

En gros, je ne me réjouissais pas d’y aller et même maintenant, je pourrais m’en passer mais je voulais revoir mes potes et retourner en cours avant les secondaires.

Bises, Paola

Lettre de Lucie

Lundi 18 mai je rentre à l’école après 2 mois de confinement .

Madame nous explique (les consignes de sécurité, comment il faut se laver les mains, etc…) Puis on commence enfin à travailler mais avec le masque c’est horrible on meurt de chaud et tout le monde a mal à la tête . A la récréation il n’y a pas beaucoup de jeux qu’on sait faire sans se toucher mais on trouve quand même .

Mais comme on a que 2 jours par semaine on ne va pas se plaindre.

Lucie

Ta maman a recommencé à travailler mais tes parents s’arrangent pour te garder. Je sens qu'ils hésitent à te déposer chez nous.


Mardi 19 mai :

C’est le grand jour, celui où je quitte ma coupe à la Agnès Varda pour une « mise à blanc ». Changer de look demande toujours du courage. J’appréhende un peu de ne plus teindre mes cheveux et de les laisser blancs. Mais l’occasion est trop belle : mes repousses font plusieurs centimètres. Didier me soutient, c’est déjà ça!

La nouvelle coupe fait un peu « années quatre-vingt ». Des cheveux très courts, blancs dans la nuque et longs sur le sommet, couleur paille suite au décapage de l’ancienne couleur marron. J’ai une tête de gamin. Ce n’est plus un foulard que je devrai porter mais une casquette!

Au retour, Didier ne peut s’empêcher de sourire ironiquement, Lucie est horrifiée. Alice avec sa gentillesse me trouve jolie, quant à Emilie, c’est toujours avec un petit mot piquant qu’elle réagit.

Dans les magasins, masquée, cheveux jaunes et blancs, personne ne me reconnaît . C’est le moment de faire un hold up!

Anatole, étudiant HEC, devait passer son examen de droit ce lundi mais le serveur informatique n'a pas supporté les nombreuses connexions simultanées et le système s’est planté. L’épreuve est reportée à une date ultérieure. Quel angoisse pour ces jeunes qui étrennent un système non rôdé pendant une période si stressante.

Toutes les universités et les laboratoires pharmaceutiques de la planète sont en train de rechercher un vaccin contre le Covid. C’est une course folle. En temps normal, il faudrait une dizaine d’années pour aboutir à un résultat mais là, on nous le promet pour dans douze mois.

Didier est allé au garage à Bastogne. Pendant que l’on faisait l’entretien de sa moto, il est parti visiter le World War Museum, gigantesque musée sur la bataille des Ardennes qui s’est déroulée dans la région en décembre 1944. Ce dernier avait rouvert le jour précédent en accueillant deux visiteurs. Didier était seul dans le musée avec obligation de porter le masque.

Les entraînements de moins de vingt personnes en extérieur peuvent reprendre. Notre professeur de Qi Gong cherchait un jardin pour recommencer les cours qui habituellement sont en salle. J’ai proposé le mien. Hier soir, nous étions une dizaine sur la pelouse par une température de 23°. J’ai apprécié cette séance à l’extérieur, couchée, arrimée à la terre, les yeux dans le bleu du ciel, à regarder les martinets voler.

Jeudi 21 mai :

Les toiles d’araignée posées à l’horizontale sur les haies annoncent un temps splendide.

Les propriétaires de seconde résidence peuvent à nouveau profiter de leur bien. La grogne montaient chez certains et l’autorisation est passée hier soir juste avant le WE de l’Ascension. Certains bourgmestres de la Côte belge demandent de ne pas venir à la mer pendant ce long WE car ils ne sont pas prêts pour maintenir les distances de sécurité suffisantes le long des digues.

Ici, en Ardenne, les volets se lèvent plic ploc et les pelouses sortent leur tenue d’été, la langue de Vondel gambade de plus en plus sur les chemins de campagne et les caissières du Delhaize constatent une recrudescence de clients.

Vendredi 22 mai :

Depuis que ta maman m’a téléphoné, mercredi, souhaitant limiter les contacts téléphoniques, je pleure sans arrêt. Alertée par Didier, elle vient de m‘appeler. Elle semble aussi mal que moi et ne pensais pas me blesser, juste se protéger car recommencer le travail, lundi dernier, l’a fort perturbée. Tes parents vont s’arranger pour te garder jusque fin juin: pas de crèche, pas de Pépère, ni de Mamy! Je sais que nous ne sommes pas seuls, beaucoup de grands-parents sont comme nous, désespérés par cette rigueur et le coeur gonflé de sanglots.

Samedi 23 mai :

Encore une annulation d’Anglais qui devaient venir fin août pour le Grand Prix de Francorchamps. Cette année, il se fera sans spectateurs.

Les camps scouts pourront avoir lieu cet été, Alice et Félix sont ravis de l’apprendre. Leur chef d’unité a été interviewé par la télévision. Heureusement que son masque n’arborait pas encore la broderie de son totem « pangolin »! Je ne pense pas te l’avoir déjà dit mais tant qu’à présent, les scientifiques pensent que le virus a été transmis à l’homme via des chauves souris, en transitant par le pangolin.

Ta maman m’a téléphoné tout à l’heure, tu avais l’air heureux de me voir mais fâché sur Paola qui te taquinait. Tu criais sans arrêt « mais non, Paola ». Comme j’étais chez Emilie, tu as pu voir tes cousins sur WhatsApp. C’est tellement important que nous gardions un lien même virtuel.


Le déconfinement de mon tilleul s'est bien passé

Dimanche 24 mai :

Ce matin, les marchés publiques de moins de cinquante exposants pouvaient rouvrir. Didier y est allé pour acheter les quelques légumes à repiquer qui lui manquent encore; à mon avis, il va récolter suffisamment pour nourrir tout le village. Quant aux poules, il n’y en a plus une seule à acheter. Par ces temps de confinement, les gens font leur pain, travaille au potager et élèvent des poules.

Cet après-midi, je suis allée faire ma balade vélo dans la vieille ville de Durbuy dont les motards se sont fait chasser jeudi dernier. Ils avaient l’autorisation de sortie en Belgique par groupe de trois mais se donnaient le mot pour s’arrêter à Durbuy manger une glace ou boire une canette. La police a mit le holà car les règles de « coronadistance » n’étaient pas respectées et ils abusaient de cette autorisation de circuler.

En chemin, nous rencontrons Ludivine qui fête avec son mari Khalid, l’Aïd, la fête de fin du ramadan. Ils sont heureux d’avoir vécu un ramadan aussi paisible car le confinement allégeait la charge de travail. Ce sont des amis très hospitaliers. Il y a deux ans, nous avions été hébergés par la maman de Khalid à Kenitra au nord de Rabat.


Tannerie de Fès - Maroc


Tu es parti avec tes parents pour une grande balade à vélo. Stoppés par la pluie, Géraldine m’envoie des photos : tu es empaqueté dans son ciré. Comme il te tombe jusqu’au pied, tu sembles porter une djellaba.

Lundi 25 mai :

A ce jour, en Belgique, il a été recensé 9.312 décès lié au Covid-19 et 345.375 pour le monde dont presque 100.000 rien que pour les USA. Voilà une quatorzaine - un peu plus du temps nécessaire pour l’incubation du virus - que le déconfinement a commencé et les indicateurs de l’épidémie sont au vert. Pour nous deux, il est même au vert ensoleillé car on vient de recevoir un message de ta maman nous demandant de te garder mardi prochain. Quelle merveilleuse nouvelle!

Les universités de Louvain et d’Anvers viennent de sonder le moral des Belges pendant le confinement. Il constate que ce sont surtout les femmes et les jeunes qui sont le plus affectés psychologiquement. Elles confirment que pour garder le moral, nous avons besoin de contacts, de nous investir dans des occupations et des activités.

Tiens donc!

Deuxième phase du déconfinement pour les écoles. Ce sont les premières années primaires et les deuxièmes secondaires qui sont concernés. Alice est dans la deuxième catégorie. Les autres années ne rentreront pas avant le 1er septembre.

Mercredi 27 mai :

25 km à vélo pour atteindre les sommets de l’Ardenne. Je m’arrête à l’entrée d’une cathédrale d’épicéas. J’appuie ma colonne vertébrale contre le tronc de ce résineux. Le vent est discret, lui qui d’habitude plie les quelques feuillus qui tentent de pousser dans ce rude climat. Je me rappelle, gamine, j’accompagnais papa, exploitant forestier et l’aidais à cuber les bois. Je notais consciencieusement dans un petit carnet les chiffres et les mesures qu’il me criait. Un matin, trottinant derrière lui, je suis tombée de tout mon long dans une ornière. Sans rien dire, je me suis relevée vivement et le flanc couvert de boue, je me suis jetée sur ses traces pour rattraper mon retard.

En avril 1970, j’avais douze ans, nous sommes partis avec Jean, le bûcheron, pour une coupe dans les Ardennes françaises. Le soir, dans le petit hôtel populaire où nous logions, nous étions restés ahuris à table, devant notre entrée. Nous n’avions jamais mangé d’artichaut. Le patron, rigolant, nous avait expliquer comment procéder. Le lendemain, je lui rapportais un panier rempli de morilles. Un champignon que nous ne connaissions pas et dont il m’avait expliqué l’existence. C’est avec quelques verres de poire que les hommes avaient été remerciés de cette cueillette miraculeuse pendant que je montais dans ma chambre enduire mes bras de Nivea. J’avais la peau tellement brûlée par les feux de branches que j’entretenais qu’il m’était impossible de me laver sans hurler.

L’été suivant, nous avions proposé à maman, à ma soeur et à mon petit frère de passer quelques jours de vacances dans cet endroit dépaysant. Ils n’avaient pas apprécié. Comme dirait un hôte canadien, je ne me souviens des lieux qu’à travers les gens intéressants que j’y ai rencontrés. Pour nous, hommes des bois, ce village banal était rempli de la fraternité que nous y avions rencontré.

Jeudi 28 mai :

Les chiffres du Covid 19 sont meilleurs que prévu. Aujourd'hui , on tourne autour de 44 nouvelles admissions, 32 décès journaliers et 212 cas positifs détectés. Trois indicateurs à leur seuil le plus bas depuis le début de la pandémie.On ne parle plus de deuxième vague mais de vaguelettes. Et si elles reviennent, les gens seront mieux protégés car ils ont intégré les gestes barrières.

Nos deux filles sont venues souper avec les enfants. Ta maman voulait t’habituer à revenir chez nous car cet après-midi, à la crèche, tu as pleuré pendant une heure, jusqu’à ce qu’elle vienne te rechercher. Même revoir Chloé, ta gardienne préféré ne t’a pas déridé.

Vendredi 29 mai :

Virage à 180°, les maternelles rouvriront mardi prochain et les primaires le lundi suivant. Le message des pédiatres qui estimaient l’éloignement du milieu scolaire plus néfaste que les risques de l’épidémie a été écouté. Si au début de celle-ci, les enfants étaient montrés comme des super contaminateurs, ce n’est à présent plus le cas. Les écoles vont donc jeter le masque et la distanciation sociale dans un silo ne devra plus être respectée. Nos enfants sont soulagés. Hier, j’ai fait un petit coucou à Lucie pour la soutenir. Elle était appuyée seule contre le montant du préau dans la cour de récréation. Elle parlait avec son amie, plantée contre un autre poteau, 4 mètres plus loin. Toutes deux étaient masquées!

Marcel est un membre du noyau dur des supporters du Standard de Liège. Il avoue que pendant le confinement, le football ne lui a pas manqué. Nous nous créons souvent des passions qui sont simplement des occupations comblant la pauvreté de notre vie.

Samedi 30 mai :

Le vert a fini d’exploser, il doit juste encore s’affirmer en fonçant les feuillages. Quelques sapinières brunes dénotent dans cette ambiance bucolique. C’est l’attaque des scolytes qui les a fait dépérir. C’est un insecte qui s’installe sous l’écorce des arbres. Il a peu de prédateurs. Des forêts trop peu diversifiées autant que le réchauffement climatique avec des stress hydriques sont les facteurs propices à son développement.

Hier, tu as passé trois heures à la crèche, dont deux avec ton papa. Tout devrait bien se passer la semaine prochaine quand tu recommenceras.

Dimanche 31 mai :

La règle des quatre personnes, toujours les mêmes, que nous pouvons côtoyer est largement outrepassée. Il y a de plus en plus de barbecues, de petits groupes qui déambulent.

Les parkings des supermarchés sont pleins. Les incohérences agacent, comme la possibilité d’aller à Oostende visiter un musée mais l’interdiction d’en profiter pour aller trainer sur la plage. Un nouveau Conseil est attendu ce mercredi avec impatience par les restaurateurs et les cafetiers; quant aux logements ( hôtel, gîtes, chambres d’hôtes, ... ) dont je fais partie, nous ne recevons aucune information.

Lundi 1er juin :

Lundi de Pentecôte, jour férié.

J’ai l’impression que tous les jours sont fériés. Je vis dans ma bulle, coincée dans mon silo, en apesanteur comme une ermite. Même en couple, nous nous confondons de plus en plus l’un à l’autre comme une seule et unique entité. Nous sommes seuls, en haute mer, en vitesse de croisière. Doucement ballotés, nous ronronnons. La maison, elle aussi est assoupie, en léthargie. Je n’ai même plus envie de l’ouvrir, de me raccorder au monde.

Le soleil nous plombe, l’herbe est rousse comme en plein été. Tout à son aise, un renard a traversé la nationale. Didier a même eu le temps de lui demander ce qu’il faisait là. Une belette passe devant ma roue. Les escurgeons se dorent au soleil, leur tête blonde ballotée par le vent léger.

Dans mon hamac, suspendu au tilleul, absorbant ses ondes positives, je me replonge dans Yannick Haenel en tenant bien ma couronne.

Mardi 2 juin :

Bonnes nouvelles!

La première : les masques promis par l’Etat belge sont enfin arrivés! Je ne ferai pas de commentaire sur la lenteur de la livraison!

La deuxième : je renfile mon costume de grand-mère car tu peux revenir avec ta grande soeur passer la journée à la maison. Ta maman est super angoissée de te laisser partir. Elle me sonne tôt le matin pour me rappeler de faire attention à toi. Nous décidons d’aller te chercher en train, accompagnés des jumeaux. Peu de monde dans les compartiments. A l’arrivée en gare des Guillemins tout aussi désertique, tu nous attends avec Paola. Tu es un peu distant. Tu observes les convois qui entrent en gare puis dans le train, le paysage qui défile. Félix te raconte des histoires pendant que les deux filles pouffent de rire. A la maison, tu redémarres comme avant le confinement. Tu n’as même pas oublié les petits rituels de la sieste que j’aime installer avec les petits. Tu termineras l’après-midi, les pieds dans la rivière, le lange bien lesté et le sourire aux lèvres. Une journée de bonheur pour tous! Même ta maman rayonnait quand elle est venue te chercher.


South Queensferry - Scotland - tiré du livre "Migrant"

Mercredi 3 juin :

J’ai été déposer en vélo mon livre « Migrant » à la bibliothèque de Hotton. Ils vont intégrer mon travail dans l’expo « Sur la route » qui est prévue cet automne. "Migrant" est un reportage sur les traces de mon père en Ecosse et en Angleterre. En décembre 1944, il s’était engagé volontaire dans la Royal Navy. Comme je venais de terminer un autre livre rassemblant toute sa correspondance de 40 à 45, je voulais voir les endroits qu’il avait arpentés. C’est une vision personnelle et familiale de la migration dans laquelle j’inclus mes pérégrinations et mes pensées.

Au retour quelques gouttes de pluie me rafraichissent, le tarmac chauffé à blanc depuis des semaines exhale un parfum caractéristique. Je constate que plus je pédale, plus j’ai besoin d’écrire. Mes jambes moulinent pendant que ma tête cogite.

Le CNS - Conseil National de Sécurité - vient de donner les directives pour la troisième phase du déconfinement. Nous quittons la formule « tout est interdit sauf… » pour « tout est permis sauf… ». L’Horeca dont je fais partie pourra ouvrir à partir du 8 juin. Les activités qui provoquent trop de contact restent interdites, les groupes se limitent à dix personnes maximum. Les mesures de distanciation et le port du masque restent conseillés car il y a encore des victimes du Covid.

Les frontières ouvriront à partir du 15 juin vers presque tous les pays de la C.E. pour le reste du monde, il faudra attendre.

Vendredi 5 juin :

Dehors, la pluie rassasie le sol déshydraté. C’est un rideau discontinu qui tombe depuis ce matin. Moi, je me sens desséchée, triste. Je n’ai pas envie de rouvrir ma maison d'hôtes la semaine prochaine. Si je suis les nouvelles directives, je ne pourrai plus offrir de verre de bienvenue : mon maitrank va moisir dans la cave, Pierre ne pourra plus déguster son Orval et Dominique sa Bressene rituelle. Plus de machine à café : Irène ne pourra plus se préparer son petit noir d’avant le déjeuner. Plus de prospectus, magazines et cartes : les balades seront à télécharger. Plus de livres dans les chambres qui portent des noms d’auteur et renferment leur oeuvre à disposition. Et la table d’hôtes où les huit personnes partageaient un déjeuner en commun avec des conversations qui sautaient d’une langue, d’une culture, d’un pays à l’autre, je vais devoir la découper en tranches horaire pour que mes hôtes ne se croisent pas.

Ce covid va tuer l’âme de la maison!

Dimanche 7 juin :

Ce dimanche, Eric est entré dans la cuisine pour boire son café. Tout doucement, notre vie sociale reprend un rythme normal. Pour moi, c’est la dernière « masse gratinée » dominicale, la semaine prochaine, je devrai me lever à 7:00 pour préparer les petits-déjeuners car depuis deux jours, les réservations reprennent de belle allure.

Notre vocabulaire se sera enrichi de nouveaux mots comme distanciel et présentiel que mon correcteur automatique souligne encore de rouge. Ces deux mots sont utilisés par les étudiants et le corps enseignant. Nous avons corrigé l’utilisation de rouvrir et réouverture.

Quant au Covid 19, c’est à présent au Brésil qu’il est le plus meurtrier. Le président Bolsonaro est, comme Trump, un coronasceptique. Beaucoup de travailleurs du secteur informel sont obligés de bosser pour survivre car sans aide gouvernementale, ils ne peuvent respecter le confinement.

Lundi 8 juin :

C’est la troisième phase du déconfinement. La plus importante car les restaurants, les cafés et les logements peuvent rouvrir. Pour marquer le coup, nous avons été boire un verre sur la terrasse de chez Jean-Mi à Bomal. La visière arrimé au front, il courait dans tous les sens, heureux de revoir ses clients. Jean-Mi et son café ont un rôle social dans le village. C’est le point de rencontre de beaucoup d’habitués. Tous les matins, il allait chercher notre Tante Denise - qui ne savait plus se déplacer - pour qu’elle puisse boire son petit café. Tu ne connais pas tante Denise, elle est décédée l’année de ta naissance. Voici un petit texte qu’elle m’a inspiré :


L’ombre de Tante De

Tante De n’avait pas de sang bleu. L’un de ses neveux avait un jour décidé d’abréger son nom et toute la famille avait adopté ce nouveau qualificatif.

Tante De nous a laissé ses albums photos, je viens de les remonter de la cave. Sur un cliché de sa jeunesse, son ombre recouvre les jambes des deux amies qu’elle est en train de photographier.

Tante De est morte dans l’indifférence générale. Quelques personnes allaient encore lui rendre visite, comme Muslim, son voisin de palier, Irakien sans permis de séjour, marié à une Ukrainienne et père de deux enfants. Au début du voisinage, elle snobait toute la famille mais après qu’il l’ait aidée à se relever d’une chute, elle avait changé d’avis . Elle s’était même entichée de leur petite fille. Il y avait aussi Jean-Mi qui tous les matins venait la chercher en voiture pour qu’elle prenne chez lui sa tasse de café. Ses jambes difformes et gonflées l’empêchaient de franchir les cent mètres qui la séparaient du Café de la Poste dont il était le propriétaire. Et puis, ma fille, Emilie lui déposait une fleur de temps en temps.

Pour ma part, je n’étais pas venue lui souhaiter - mes meilleurs voeux pour 2018 -, ni une bonne santé. Etait-ce ma faute si elle était morte avant de terminer l’année?

Le premier janvier de l’année précédente, j’avais du quitter son studio, écoeurée par l’air vicié qui y régnait. Propriétaire d’un énorme chat, elle tenait les fenêtres hermétiquement closes, rechignant à le laisser sortir. Les odeurs venaient peut-être aussi de son hygiène douteuse. Sa douche était encombrée de caisses et ressemblait plus un débarras qu’à une cabine de douche.

Elle s’était mariée à 31 ans, avait vu Broadway, Athènes, Montréal, Dubrovnik, Puerto de la Cruz, Lourdes et Ajaccio. A chaque Noël, ma belle-mère invitait ses enfants, son beau-frère et tante De. Celle-ci nous gâtait de cadeaux improbables; pour ses neveux trentenaires : couteaux de survie en plastic, avec fil à pêche et hameçons incorporés dans le bouchon; pour leur épouse, des parfums de Prisunic ou des foulards immettables que nous nous hâtions de jeter et pour nos gosses, des jouets dont l’origine chinoise ne pouvait être mise en doute.

Didier était le seul membre de la famille sur qui elle pouvait encore compter. Il était le neveu et le filleul de son mari, oncle Jeannot. Jeunes mariés, nous avions profité des largesses de ce parrain en or. Puis la situation s'est inversée. A la fin, c’est elle, veuve, qui dépendait de nous.

Que reste-t-il, un an après sa mort? Des albums photo entreposés dans la cave, plein de visages inconnus, de destinations exotiques et puis son ombre sur les jambes de ces deux femmes appuyées sur une grosse américaine.


Mardi 9 juin :

De nouveau, nous avons été te chercher en train. Cette fois, tu cours vers nous. Et puis, en début d’après-midi, tu te paies un coup de cafard et réclame ta maman. Alors, Didier monte faire la sieste avec toi. Je ne sais lequel de vous deux en profite le plus! Paola nous accompagne. Comme les enfants de l'école maternelle, elle devait reprendre l’école tous les jours de la semaine mais elle a décidé de brosser les mardis de juin pour venir chez nous et revoir sa cousine.

Dans le monde, la pandémie a déjà fait plus de 400.000 morts. Le plus grand nombre se situe aux USA, au Royaume Uni, au Brésil, en Italie et en France. L’OMS exhorte à rester vigilant et à continuer de respecter les gestes barrière. En Belgique, les experts s’inquiètent du manque de prévision et de plan en cas de deuxième vague.

Les bilans de l’épidémie commence à tomber. En Belgique 70% des décès sont survenus en maison de repos. Les maisons de retraite ont été abandonnées à leur sort, sans matériel. Les résidents mourant dans la solitude et sans les soins adéquats.

Vendredi 12 juin :

Notre maison d’hôtes est une vieille maison de famille avec quantité de livres, d’objets, de peintures et de meubles anciens.

J’ai passé deux jours pour la remettre en ordre. Dans les directives après-Covid, il faut tout désinfecter après chaque passage. J’ai donc dépouillé les chambres de ce qui était inutile et qui cependant leur donnait du charme. C’est un peu comme déposséder un viellard de tous ses souvenirs.

Ma cuisine donne sur la façade. J’essaie d’être présente pour ouvrir moi même la porte d’entrée à mes hôtes. C’est tellement plus accueillant que de tirer la chevillette. Le premier contact est souvent une poignée de mains. J’aime beaucoup analyser cet effleurement. Au creux de la paume, se situe le point Lao Gong, le maître du coeur. Intuitivement, je sens les personnalités transpirer à travers ce geste.

J’offre ensuite un verre de bienvenue. La conversation est souvent intime. Les gens se dévoilent par quelques paroles. Parfois, je suis intriguée. Comme avec cet ouvrier horticole qui à travers la poignée de main et la parole, irradie une expérience hors du commun. Après deux jours, j’apprendrai qu’il est ancien reporter - photographe de guerre. Ebranlé psychologiquement, il a récemment décidé d’arrêter son ancien métier pour commencer un travail d'ouvrier horticole.

Dorénavant, les salutations à l’arrivée seront à la japonaise, comme avec Akira. Ce cuistot, curieux d’apprendre que des écrevisses vivaient dans la rivière au fond du jardin, me proposa d’aller les pêcher. Il les accommoda dans ma cuisine pendant qu’au téléphone, je certifiais à mes filles dubitatives qu’un chef japonais s’activait sur mon plan de travail.

Je ressors la vaisselle, la yaourtière. Je prépare mon choco maison. Certains s’en pourlèchent les babines. La recette est simple : 250gr de chocolat noir « Côte d’or » - la marque belge par excellence - et 150gr de beurre. Je les laisse fondre à feu doux avant de les mélanger hors du feu avec une boîte de lait concentré sucré Nestlé. Pour un petit goût de noisette, il suffit d’ajouter une cuillère à café d’huile de noisettes.

La barre de chocolat noir à l’emblème de l’éléphant à la trompe relevée, c’était notre "dix-heures" à l’école. Nous la faisions aussi fondre sur du papier alu, posé sur une semelle d’amiante à même la flamme de la cuisinière. C’était un délice sur les tartines au beurre salé.

Je passe à la ferme faire le plein de fromage et demande à la fermière qui vient d’installer son nouvel atelier comment se sont passés les trois derniers mois. Excellents! Me dit-elle. Les restaurants fermés n’achetaient plus, par contre la clientèle locale a découvert nos produits. C’est un bilan national : le circuit court a de plus en plus la quote.

Samedi 13 juin :

Je dois te parler d’un fait de société qui depuis quinze jours envahit les rues, les journaux et les réseaux sociaux. Le 25 mai dernier, Georges Floyd, un américain noir du Minnesota, a été tué par un policier blanc. Il est mort étouffé par le genou de ce dernier. Son calvaire qui a duré plus de huit minutes a été filmé en direct. Ses derniers mots - "je ne peux pas respirer" - s’affiche sur les masques des manifestants, sur des pancartes et jusque sur les grilles de la Maison Blanche. Les manifestations spontanées contre le racisme n’ont pas seulement lieu aux USA mais également dans le monde entier. Les manifestants crient leur colère et affichent le slogan "Black lives matter" qui s’inscrit en gigantesques lettres jaunes sur la 16ième avenue de Washington juste en face de la Maison Blanche.

A Bruxelles aussi, depuis quelques jours, les activistes anti-racistes taguent les statues du roi Léopold II et il ne faudra pas longtemps avant qu’elles ne soient déboulonnées. Ils crient leur colère.

Dans notre milieu rural, la mixité ethnique n’est pas très présente. La peur de l’autre et de l’inconnu ont toujours existé. Il y a cent ans, les gens se mariaient entre personne du même village. Si tu venais du bourg à côté, tu étais un étranger - un aplovou - qui en wallon

signifie : "arrivé avec la pluie". L’année dernière, j’ai tiré le portrait de tous les gens de mon village, enfin ceux qui le voulaient bien. Sur cent soixante habitants, une centaine ont accepté. Tu peux juger par toi même que le résultat manque de diversité.

Série "Les gens d'Aisne" panneau central


Dimanche 14 juin :

A 89 ans, maman était un danger ambulant, nous lui avons fait comprendre qu’il n’était plus prudent de conduire sa voiture. L’année dernière, elle a donc acheté un vélo électrique mais comme depuis sa chute, elle n’a plus le sens de l’équilibre, ma belle-soeur a récupéré la bicyclette et part tous les dimanches, pédaler avec mon frère dans la campagne alentour. Aujourd'hui, ils ont longés le marché dominical et constaté que la foule et la promiscuité sont bien de retour. Le long de la rivière, ce sont les mobil-homes blancs qui réapparaissent, alignés comme une rangée de dominos. Dans les campings, les caravanes sortent de terre comme des pissenlits en graines, toujours blanches ou crémeuses.

Ce midi, vous êtes tous venus manger pour souhaiter la fête des pères. C’est la première fois depuis trois mois que nous sommes enfin tous réunis.

Lundi 15 juin :

Depuis hier soir minuit, les frontières de certains pays de la Communauté Européenne sont rouvertes. Pendant l’épidémie, il fallait un laissez-passer pour, comme Nathalie, aller travailler en France. Son mari, également médecin, a réservé des vacances dans les Pouilles et espère bien partir en avion, début juillet. Leur enthousiasme me rassure.

A partir d’aujourd’hui, les masques arrivés le 2 juin sont livrés dans les pharmacies. Mieux vaut tard que jamais!

J’avais plusieurs réservations de longue durée, style une semaine, alors que dans nos chambres d’hôtes, ce sont habituellement des demandes pour une ou deux nuits. Les annulations de ces longs séjours se précipitent. Ils préfèrent certainement partir plus loin en Europe que de rester au pays. Les vacances en Belgique comme pronostiquées en avril n’auront-t-elles pas lieu?


Mardi 16 juin :

C’est le jour où nous SNCBons pour aller te chercher à Liège mais Félix a tellement trainé à chercher ses affaires que Didier a raté son train. Fin de journée, j’ai été terriblement séduite quand après l’arrivée de ta maman, tu t’es jeté dans mes bras pour me faire un câlin. Puis, tu m’as fait sourire quand appuyé sur tes genoux tu t’es mis à observer des fourmis escaladant un ver de terre en disant que c’était trop "mimi".

Paola et Lucie adorent tout ce qui est vintage et dans notre maison, cela ne manque pas. Elles visent particulièrement un petit meuble HI-FI de bois laqué, datant des années soixante. J’ai promis de le leur léguer quand dans une quinzaine d’années, je quitterai cette grande maison. Ainsi, quand je mourrai, elles auront ce petit meuble pour penser à moi. C’est une façon sournoise de rester immortelle.

Didier termine le site web de la résidence seniors d’Andrée et Philippe pour laquelle, nous avions pris pas mal de photos. Il peut passer des journées devant son ordinateur, puis se délasse une demie-heure en guitarisant. Pendant ce temps, je retourne chez Andrée pour qu’elle décape encore une fois la mêche de paille qui trône sur ma tête. Dur, dur de revenir aux cheveux blancs.



Je viens de recevoir un mail du maître de chai d’une entreprise viticole que nous avions photographiée en Géorgie. En septembre dernier, nous avons quitté Bakou par le train de nuit pour relier Tbilissi en Géorgie. Après quelques jours, de pistes pour visiter le monastère de David Gareja, perdu dans un paysage lunaire, de routes encombrées pour relier Sinaghi, nous sommes arrivés à Telavi où Maya, notre hôtesse, nous reçoit comme des vieux amis de la famille. Le lendemain, nous visitons le monastère d’Alaverdi où les foules convergent pour la messe dominicale. Les chants géorgiens a cappella sont d’un beauté sublime et l’évêque bénissant chaque tête à la sortie de l’office, la preuve que la religion, comme en Roumanie, est omniprésente dans la vie quotidienne. A midi, nous dinons à la Scuchmann Winery où il faut frapper pour pouvoir entrer. L’accueil est très professionnel. Nous découvrons le vin orange et les méthodes de vinification vieille de 7.000ans. Maya nous a recommandé une autre Winery où sa belle-soeur travaille. De nouveau, la barrière est fermée. Le gardien nous regarde passer par une porte latérale, sans nous arrêter. Après quelques minutes, une jeune femme blonde nous aborde puis dans un anglais impeccable, nous emmène visiter l’usine. Elle est maître de chai et nous fait déguster à même les énormes citernes. C’est une véritable ruche, 80 personnes y travaillent, ils produisent deux millions de bouteilles dont certaines étiquettes arborent la photo de Staline, natif de Géorgie. Comme les vendanges battent leur plein, les petits tracteurs, les vieux camions russes Kamaz et tout ce qui roule font la file devant la balance avant de déverser les grappes dans le pressoir. La winemaker nous abandonne, nous laissant divaguer dans l'entreprise et shooter à notre aise. Ce sont ces photos qu’elle me réclame.


21 juin : Ce matin, vous êtes partis en famille à Bruges. L’absence de touristes étrangers rendait la ville à sa quiétude et à son romantisme. C’est la période idéale pour la visiter, tout comme l’exposition Van Eyck qui sans la foule devait être agréable à parcourir.

22 juin : Le travail reprend tout doucement. Pour respecter la distanciation, je demande à mes hôtes de déjeuner à des heures différentes ou bien je les place à des tables distantes, disposées dans le jardin ou dans les nombreuses pièces que compte la maison. Aujourd’hui, Nancy, qui va rester quelques jours, a amené son linge et m’a demandé de ne pas entrer dans la chambre pour la nettoyer. Avec le Covid, je pensais avoir plus de travail et c’est le contraire qui se passe.

23 juin : L’Amérique du Sud et principalement le Brésil est maintenant l’épicentre de la pandémie. Elle n’y a pas encore atteint son pic. On y dénombre plus de 50.000 morts et un million d’infectés. Après les Etats-Unis, c’est le pays le plus endeuillé au monde. La gestion catastrophique du président brésilien Bolsonaro est très critiquée. Il minimise l’épidémie et demande aux Gouverneurs de lever les restrictions et les mesures de distanciation physique pour relancer l’économie. L’expansion du Covid explose aussi en Afrique du Sud et en Inde.

Chez nous, la vie reprend très vite ses vieilles habitudes. Je remarque que nos amis tendent à nouveau la bouche ou la joue pour faire la bise. Ce W.E. des jeunes ont fait la fête à Bruxelles sans respecter les gestes barrière, cela a fait bondir les épidémiologistes et tous ceux qui effrayés, respectent scrupuleusement la bulle de dix personnes à fréquenter. La vigilance diminue mais le virus est toujours là et reprend même vigueur, comme en Allemagne qui confine à nouveau deux arrondissements.

Ce mardi, tu es arrivé avec Emilie et sa camionnette rouge. Elle rentrait de ses achats de fleurs. Le soir en rentrant de Liège où je t’avais reconduit, Lucie m’a fait part de sa tristesse de quitter l’école primaire. Pourtant, elle se réjouit d’entrer en supérieur, d’apprendre l’anglais pour, comme Paola le fait déjà avec son dictionnaire Harraps, traduire les paroles des chansons. Pour moi, l’entrée en humanités n’était pas rose. A l’école des « Bonnes Soeurs » de Notre-Dame de Bastogne, c’était le monde des interdits et des obligations. Interdit de porter des pantalons et des bas nylon, obligation de mettre un tablier de nylon bleu, fermé jusqu’au cou afin de gommer les différences sociales, comme si ces dernières ne se marquaient pas dans les chaussures, la coiffure, le regard ou l’allure des jeunes. Obligation d’aller à la messe, de manger le soir les rollmops que nous avions dédaignés le midi sans quoi, ils nous seraient resservis le lendemain, de subir deux heures d’étude après les cours, de garder le silence dans les dortoirs, de ne pas sortir en ville le mercredi après-midi, sous peine de se faire renvoyer comme mes deux condisciples parties boire un verre dans un café avec des garçons et pour lesquelles, les parents, le curé et le médecin de famille avaient été appelés.

Mercredi 24 juin : Didier est parti pour une semaine à moto dans les Pyrénées avec son ami Philippe. Cela me laisse du temps pour lire. Je viens d’achever le dernier livre de James Ellroy «La tempête qui vient». J’ai adoooooré ses créations de mots et le foisonnement de personnages. Je viens d’entamer « La conjuration des imbéciles" de J. Kennedy Toole. Cet après-midi, à Liège, chaque fois que je croisais un barbu obèse, j’avais l’impression de voir Ignacius Rilley. Aussi, je n’hésitais pas à changer de trottoir, de peur de me faire agresser.

Mes clients du jour sont arrivés. La journée a été torride, 34°. Je vais aller me rafraîchir avec un petit tour à vélo, le long des talus que surplombent les digitales gantées de parme.

Jeudi 25 juin : Hier le CNS c’est réuni et nous a donné les directives de la quatrième phase du déconfinement. Il a comme un parfum de vacances et de liberté même si les grands évènements et rassemblements sont interdits jusque fin août. A partir du premier juillet, les bulles pourront être élargies à 15 personnes. Les rassemblements comme les mariages pourront se dérouler avec un maximum de cinquante personnes, pour les manifestations culturelles et sportives, 400 personnes en extérieur et 200 à l’intérieur. Les cinémas, les piscines et les parcs d’attraction seront à nouveau accessibles.

Le port du masque a créé la polémique. Certains épidémiologistes le réclament. Les politiques pensent qu’il serait difficile de l’imposer maintenant alors qu’il ne l’a pas été au plus fort de l’épidémie vu l’insuffisance des stocks.

Vendredi 26 juin : Le pèlerinage de La Mecque n’aura pas lieu cette année. Je constate que le Covid a plus de pouvoirs que tous les super-héros réunis.

Samedi 27 juin : En me quittant ce matin, Jan m’a serré la main. Quelle impression bizarre. Tous les deux, nous avons été surpris. Puis, nous avons rit de cette réaction un peu gênée. Voilà plus de trois mois que je n’avais plus pratiqué ce geste.

Le soir, nous sommes tous montés au champ de Pierre, un morceau de paradis, couvert de chênes et d’un superbe frêne sous lequel nous nous abritons quand la pluie nous chasse du feu de camp. Ce sont des heures nocturnes assis, à regarder les flammes, en papotant, un verre de Lupulus ou de vin à la main. Un vieux chemin qui conduit à la Pierre Haina, nous y amène. Il vient malheureusement d’être tarmaqué et ton plaisir était de t’asseoir avec Alice sur sa planche à roulette pour descendre ce ruban d’asphalte.

Lundi 28 juin : Les jumeaux et Paola terminaient cet après-midi leurs études primaires. Pour l’occasion, cette dernière avait rédigé un petit discours qu’elle a lu devant ses professeurs en pédagogie Frenet et les parents réunis. Le voici :

Pour commencer, bonjour… Je ne sais pas pourquoi mais au début de chaque grand discours, même si ils se sont déjà vu, ils disent « bonjour ». Donc, « bonjour »!

Il y a un peu près deux ans, j’ai traversé cette cour, j’ai monté ces escaliers et je suis entrée dans cette classe en espérant un épanouissement plus sûr. Aujourd’hui, j’ai traversé cette cour, j’ai monté ces escaliers et je suis entrée dans cette classe en étant plus épanouie.

Il y a un peu près deux ans, j’étais une gamine de neuf ans à qui on a commencé à parler de plans de travail, de conférences, de recherches math ou encore de brevets. Pour être franche, je n’y comprenais rien mais plus le temps passait, plus je m’adaptais. Moi qui ai toujours eu une peur bleue de parler devant un groupe, même devant ma classe, je suis en train de m’exprimer devant vous. Frenet n’est pas seulement une relation plus cool avec son prof ou un apprentissage pour devenir autonome. Non, Frenet est un enseignement où tu te sens compris et où tu peux être toi.

Donc aujourd’hui, je suis une fille de onze ans qui est un peu plus heureuse et épanouie dans ce qu’elle fait. Pour çà, je voulais vraiment remercier Gaëlle. Même si je n’oublie pas Dan, Natacha, Anne, Jaques, Olivier et tout le reste de la troupe.

Merci à tous

Mardi 30 juin : Les manifestations «Black Lives Matter" aux Etats-Unis ont ravivé la problématique du racisme en Belgique. Les statues du roi Léopold II et d’autres tortionnaires ayant colonisé et exploité le Congo sont vandalisées. Aujourd’hui, pour les soixante ans de l’indépendance du Congo, le roi Philippe a pris la parole : «je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ses blessures du passé dont la douleur est aujourd'hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés». Gosse, notre image du Congo était celle véhiculée par Tintin et les BD de Marcinelle que nous dévorions avec mon cousin Coco, assis sur le carrelage, cachés derrière le comptoir de son grand-père libraire. Les photos de mon grand oncle Jo, porté dans un palanquin par des Congolais nourrissaient aussi notre imaginaire. Mon voyage au Rwanda en 1977 m’a fait prendre conscience du racisme de la société dans laquelle je me trouvais. Les blancs y vivaient en véritable ghetto. J’étais choquée par l’enfermement du boy dans la cuisine. Il ne pouvait aller ni à l’extérieur, ni à l’intérieur. Au club de tennis, les couples mixtes étaient ostracisés. Ce racisme et cet apartheid me mettait mal à l’aise, il n’était pas perçu en Belgique.


Mercredi 1 juillet : Je suis retraitée depuis ce matin. Et pour bien commencer cette nouvelle vie, je nettoie les quatre chambres d’hôtes! Ce nouveau statut n’engendre aucun changement dans ma vie, je continue mon activité et comme je suis indépendante, personne ne pensera à me féliciter de cette "promotion". Pas de collègues, pas de pot d’adieu, pas de bouquet de fleurs….ah, sisisi, je viens de m’offrir une magnifique agapanthe. On n’est jamais si bien servi que par soi même.

Hier soir, nous avons terminé l’année du groupe de Qiqong avec une soirée festive où Claire à joué de l’accordéon diatonique pour notre plus grand plaisir. La partie s’est terminée sous la lueur magique des lucioles qui clignotaient et virevoltaient autour de nous.

Les cas de contamination au Covid diminuent; la semaine dernière, il y avait en moyenne 84 hospitalisations par jour.

La quatrième phase du déconfinement commence aujourd’hui. Olivier peut retourner travailler au bureau. Fini le télétravail dans la salle à manger sur sa chaise de bois rembourré de cousins hétéroclites.


Jeudi 2 juillet : nous avons invité les quatre grands au restaurant pour leur réussite scolaire. Toi, tu restes avec maman et papa. Belle soirée avec Paola qui n’arrête pas de parler.

Vendredi 3 juillet : Encore une soirée au champ de Pierre, pour les 26 ans de Guillaume. Ses amis lui avaient préparé une fête surprise à laquelle ta maman et Didier étaient invités en tant que marraine et parrain. Tu as circulé toute la soirée entre les jambes des jeunes femmes. Tu leur faisait du gringue, sans baratiner, les séduisant par tes yeux doux et ton assiduité à les suivre.

La fleur du jour est la reine des prés qui règne sur les terrains humides et les fossés. Il faudra que j’en cueille pour mes tisanes comme le faisait ma grand-mère. Cet après-midi, j’ai ramassé celles du tilleul que nous avions planté pour la naissance d’Alice. Elles entreront dans la tisane du soir.

Quel plaisir de rouler sous le ciel ouaté de nuages gris. Sur les hauteurs, le vent chahute les feuilles et les branches. Mon vélo se faufile entre les éléments.

Samedi 4 juillet : Je viens de terminer le roman de Daniel Kehlmann «Tyll Ulespiègle». Il vient de sortir chez Actes Sud. Le sujet m’intéresse car l’année dernière en rentrant d’Allemagne, nous nous sommes arrêtés à Elsenborn, à la frontière. Nous y avons fait une très intéressante rencontre :

Nous sommes le 25 juillet 2019.

Le jour de la Saint Jacques et celui de l’anniversaire de Didier.

Le jour où le thermomètre a pulvérisé les 40°, jamais observés précédemment en Belgique.

Le jour où nous avons roulé pendant 65 km sur la Veenbahn dans l’Est du pays, nous arrêtant à Sourbrodt, l’ancien poste frontière germano-belge, pour nous désaltérer à l’enseigne de l’Ulenspiegel.

C’est un café à l’ancienne, de petits carrelages panachés dans des tons de bordeaux, un vieux comptoir en bois, des photos, des cartes IGN au mur, des livres traitant du village et des Hautes Fagnes toutes proches, avec une collection de hiboux et un tenancier charmant.

Mais pourquoi en territoire germanophone, utiliser le nom de Ulenspiegel, le chantre de la résistance flamande contre l’envahisseur espagnol? "Tout simplement parce qu’il est Allemand" me répond notre hôte et de nous expliquer que l’écrivain belge, Charles de Coster qui est né à Munich, s’est inspiré d’un personnage saxon pour créer Thyl Ulenspiegel. Les hiboux disséminés dans la pièce sont une référence à l’étymologie du nom qui signifie la chouette et le miroir, symboles de la sagesse et de la moquerie envers les puissants.

Le propriétaire nous parle d’une voix posée, cherchant et trouvant les mots français avec précision. Il nous montre une édition du livre éditée à Moscou et préfacée par Romain Rolland.

Quel voyage sans frontières: un héros saxon, naturalisé Flamand par un écrivain bruxellois dont le livre, préfacé par un auteur français, est édité en Russie,. Cela nous ravit.

Quelle halte passionnante!

Les lieux ne sont vraiment rien sans les gens qui y habitent et les hasards qui nous les font rencontrer.

Mais existent-t elles vraiment ces frontières que Thyl l’espiègle franchit allègrement ou les avons-nous créées de toutes pièces afin d’étriquer nos cultures?


Mercredi 8 juillet : Nous sommes tous réunis pour fêter l’anniversaire d’Emilie. Il a plu toute la journée. La pelouse est gorgée d’eau. Tu te couches sur l’herbe pour faire rouler tes petites voitures. Des cheveux dégouttent d’humidité. Tu as tellement l’habitude de courir dans le jardin sous le soleil et tu es si fatigué à cette heure tardive qu’il est impossible de te faire rentrer sans que tu te fâches. Il y 41 ans, il faisait chaud. J’étais partie vers 19h00 pour la maternité. C’était dimanche, l’infirmière de garde avait voulu me renvoyer. Cinq heures plus tard, Emilie était déjà parmi nous.

Jeudi 9 juillet : Le six décembre dernier, nous sommes devenus dépositaires des albums des grands-parents maternels de Didier. Ses tantes Geneviève et Roseline se sont disputées pendant des années pour se les approprier. C’est finalement leur soeur ainée, Michèle, qui en a hérité et qui nous les a donnés puisque Didier est l'aîné des petits-enfants. Je suis en train de les scanner pour que toute la famille y ait accès. Didier a douze oncles et tantes du côté maternel et quarante deux cousins germains.

Voici, en 1930, le grand-papa de Didier chevauchant sa superbe moto Bovy.

En 1976, Didier avait retrouvé à peu près la même chez une habitante de Sy. Elle trônait dans le couloir depuis que son époux était décédé . La moto avait démarré au quart de tour. C’était une «Prior» avec un moteur Sachs. La selle passager était surélevée. Il l’avait acheté pour 5.000 frs belges et revendue un an plus tard pour le triple du prix. Dommage!

Quant à l’arrière grand-père de Didier, il n’avait jamais voulu monter sur une moto. Il faisait tout à pied, même quand retraité, il quittait Chevron pour rejoindre Troisponts, à 20Km, afin d’y toucher sa pension et écluser une petite bière.

Vendredi 10 juillet : Je ne savais pas que les GSM faisaient pleurer les petites filles. Lucie vient d’arriver avec son téléphone bloqué et c’est le drame. Didier va tenter de résoudre le problème.

Samedi 11 juillet : La nouvelle est tombée jeudi soir : le port du masque est obligatoire dans tous les magasins, espaces publiques et cinémas. C’est une piqûre de rappel pour nous signaler que le Covid est toujours bien présent. Il reprend même du poil de la bête. Les pays, régions et villes sont à présent affectées d’une zone de couleur et certaines comme la ville de Lisbonne et d’autres en Espagne sont classées rouges.

Cette mesure tardive est une bonne solution car les gens se concentrent de plus en plus sans respecter les distances. Elle est cependant insupportable pour ceux qui sont obligés de porter le masque toute la journée.

Même Trump le porte à présent. Les cas de Covid explosent aux Etats-Unis, surtout dans le Sud. Le pays compte déjà plus de 135.000 morts.

Lundi 13 juillet : J’ai offert une semaine de stage aux trois de onze ans (Lucie, Paola et Félix). Alice a préféré s’acheter un sac à main orange. C’est le premier de cette petite demoiselle.

Mardi 14 juillet : Depuis l’apparition du Covid, visiter un musée ne s’improvise plus. Eddy qui pourrait s’appeler monsieur Beulemans tellement son accent bruxellois est prononcé a essayé en vain de réserver deux entrées pour le « War Museum » de Bastogne. Elles doivent s’acheter via internet et le nombre de personnes est limité à des groupes de quinze personnes, pouvant entrer tous les quart d’heure. Après avoir passé des heures sur sa tablette, il s’est rendu au musée sans billets et il a pu entrer.

Les hôtels de Bruxelles et des grandes villes fonctionnent au ralenti. Ils seraient remplis à 12%. Les gens préfèrent la campagne, la nature, le calme et de petits établissements. Chez nous, les réservations sont excellentes et je refuse beaucoup de demande. Tout ce monde a fait que je n’ai pas eu le temps de m’occuper de toi aujourd’hui. Heureusement que Didier est là pour m’épauler. Pour compliquer mon travail, tu as eu la bonne idée de garer toutes tes voitures en rang devant l’évier où je débarrasse la vaisselle du petit déjeuner. Tu es vraiment un petit canaillou. En arrivant, ton premier mot est «manger». Puis tu pars au jardin avec Pépère pour faire la razzia des fraises, framboises,groseilles et cassis.

Jeudi 16 juillet : Marie est décédée. Nous la savions malade et l’espérions pourtant invulnérable. C’est la première des cousines de Didier à disparaître. Elle avait 46 ans. En enlevant la gerbe de fleurs cet après-midi chez Emilie, j’ai croisé un client avec un masque de protection pour les travaux de peinture. Cela ressemblait à un masque à gaz. Je savais que nous étions entrés en guerre contre le Covid mais je ne m’imaginais pas être déjà dans les tranchées. Autre moment surréaliste quand les deux grands cousins que sont Didier et Régis se sont fait la bise avec le masque. Et puis transgression quand j’ai serré Bruno, le mari de Marie, dans mes bras. Impossible de rester face à face sans se toucher. Nos regards étaient intenses mais comme les mots, largement insuffisants.

Le soir Didier nous a invités au resto. Celui où nous étions allés la veille du confinement. A part le personnel masqué, rien n'a changé.


Vendredi 17 juillet : En France, où les cas de Covid sont en augmentation, le port du masque sera obligatoire dès la semaine prochaine.


"Gris" de la série " la couleur dans la nature"


GRIS

Le gris n’est pas vraiment une couleur. Il résulte du mélange du noir et du blanc.

Il symbolise la douceur, le calme et apaise. Il est passe-partout et s’associe avec toutes les couleurs. Il est sobre, chic et élégant dans la décoration et l’habillement mais triste et fade dans la nature. C’est un signe de grisaille et de poussière.

C’est la couleur de la souris et de l’âne, du schiste et du calcaire, du poudingue de Roche-à-Frêne.

C’est la couleur des poissons, de l’eau et des cendres du grand feu à la fin de l’hiver.

C’est la couleur du tarmac et du béton qui gourmands, mordent la terre et entament le paysage.

C’est la couleur des tôles ondulées des abris dans les prés.

C’est la couleur du lichen et de l’écorce du hêtre, la couleur du bois mort et des tombes en schiste des cimetières de Haute Ardenne, des bornes et des poubelles aux carrefours touristiques.

Gris, ce n’est ni blanc, ni noir, ni bon, ni mauvais. Gris, c’est le compromis, le consensus.


Samedi 19 juillet : Purée! Les seules personnes qui se présentent avec un masque, j'arrive

encore à leur serrer la main.

Mardi 21 juillet : Chaque fois que tu montes en voiture, tu parles de nous mais tu n’es pas venu ce mardi. Tu es parti en vacances depuis vendredi dernier, retrouver les amis bretons de tes parents. Nous téléphoner ne t’intéresse pas. Tu as mieux à faire. Sur les photos que Géraldine m'envoie, je vois le chien familial, la mer, l’expo photo de Martin Parr ( veinard, va!) , une plaine de jeux, tes parents qui te serrent dans leurs bras.

Alice et Félix sont au camp scout. Lucie est enfant unique pendant une semaine. Emilie aimerait l’emmener voir Amsterdam mais elle hésite beaucoup, trop angoissée de ramener le Covid dans son entourage. Les villes sont pourtant désertées par les touristes étrangers. C’est le moment de les visiter.


Mercredi 22 juillet :

Depuis quelques nuits, nous avons un nouvel hôte. Il est blanc et noir, balourd, costaud, pas rasoir mais un peu barbant. C’est un blaireau qui fouine dans notre pelouse. Nous la quittons verte le soir et la retrouvons brune au réveil. Le jardin est clos. Un mur de pierres l’entoure depuis plus d’un siècle. Les barrières sont bien fermées. Serait-ce un blaireau ailé? Nous allons devoir enquêter.

Vendredi 24 juillet : La cinquième phase du déconfinement n’aura pas lieu. Le CNS l’a suspendue. En cette période de vacances. L’épidémie reprend du poil de la bête. Les règles de distanciation et de bulles limitées à quinze personnes ne sont plus respectées. La Roche, Durbuy et les villes touristiques sont prises d’assaut par les touristes belges qui préfèrent rester au pays. Le port du masque est encore élargi et est rendu obligatoire dans les rues des vieilles villes de Durbuy, la Roche, Houffalize.

Dimanche 26 juillet : Dernière photo de vacances : tu marches en haut de la falaise. Une dizaine de mètres devant toi, Paola et ton papa, bras dessus, bras dessous. Sur ta gauche, ton ombre immense. Tu avances d’un pas ferme vers ton dernier bain. Sûr et solitaire. C’est tout toi!


Lundi 27 juillet : Nouveau CNS. Trois jours plus tôt que prévu vu la hausse phénoménale des cas de Covid dans la ville d’Anvers. Le déconfinement n’est plus en «pause» mais en mode «rewind». Mercredi, la bulle sociale redescendra à cinq personnes, toujours les mêmes, pour les quatre prochaines semaines. A nouveau, il faut faire les courses seul. Pour les mariages et évènements, pas plus de 100 personnes en intérieur et 200 en extérieur, avec le port du masque. La première ministre prône le retour au télétravail et délègue aux bourgmestres le droit d’agir fermement. Bart de Wever, celui d’Anvers, tarde à prendre des mesures drastiques. En Allemagne, avec le même taux de contamination, la ville serait déjà confinée totalement.

J’avais difficile de garder le masque avec les hôtes mais je respectais scrupuleusement la distance adéquate. Depuis ce matin, je le porte pour chaque visite. C’est incroyable, je suis masquée dans ma propre maison!

Mercredi 29 juillet :

Tes parents sont partis deux jours à Cologne avec Paola pour partager un moment à trois. Toi, ce moment, c’est avec nous deux que tu le passes. Le soleil nous permet de jouer dans la rivière. Ton sens de l’équilibre et de l’aventure te donne des ailes, tu gambades sur les cailloux glissants. Au souper, tu tries les petits pois de ton assiette pour les refiler à ton pépère.

Jeudi 30 juillet : Nous avons réservé deux entrées au FOMU d’Anvers, pour l’expo photo de Stephan Vanfleteren. Nous pensions d'abord y aller en train puis, pour côtoyer moins de monde, en voiture, mais les autorités déconseillent vivement de s’y rendre vu l’explosion de cas de Covid dans la ville portuaire. En fin de compte, nous resterons à liège et visiterons l’expo sur l’Hyper Réalisme mais la journée ne se déroule pas comme prévu. Tu fais une chute de trois marches avec ton vélo sans pédale et saigne abondamment de la bouche. Je file chez le médecin qui m’envoie chez le dentiste qui m’expédie aux urgences orthodontistes. Dans la salle d’attende, tu es très calme. Tu ne peux ni téter, ni manger et tu tombes de sommeil. Après plus d’une heure, on nous fait passer dans le cabinet dentaire et je m’allonge sur le siège avec ton petit corps sur moi. Le dentiste t’enlève les deux incisives supérieures qui s'étaient déplacées à l’intérieur de ta bouche. Tu hurles et réclames ta maman. Je suis aussi secouée que toi. Avec ta belle petite tête d’ange, te voilà tout défiguré. Géraldine arrive juste à temps pour te consoler, poser quelques questions au médecin et apprendre de sa bouche l’horrible intervention. Tu ne t’endormiras qu’à 11 heures du soir après lui avoir longuement raconté ce premier traumatisme que j’ai malheureusement partagé avec toi.

Le soir, au restaurant, je savoure ce plaisir de manger sans douleur que tu ne connaitras pas aujourd'hui. Hervé, le serveur, me fait signer le registre des clients que tout propriétaire de l’Horeca doit tenir même si le client ne boit qu’un seul verre. Quelle galère! Le but est de permettre un traçage plus efficace des contaminés du Covid.

Vendredi 31 juillet :

Mon premier jour de congé du mois. J’aurais espéré une grasse matinée et un déjeuner en paix mais notre aventure d’hier m’a chamboulée. A midi, ta maman me contacte via WhatsApp. C’est incroyable, tu te débrouilles déjà très bien pour glisser tes aliments sur les côtés de la bouche. Pas de risque que mon petit goinfre se laisse mourir de faim! Ça me rassérène quelque peu. Tu ne têtes plus mais ta tétine est devenue ta compagne : tu lui parles et la gardes en main.

Samedi 1er août : Ton accident m’a rappelé un souvenir d’enfance. Ma tante Lily habitait le même bâtiment que ses parents. Côté rue, une façade et deux magasins sans séparation. Elle tenait la bonneterie et son père la librairie. Le comptoir courait sur toute la longueur. A l’arrière, une véranda commune. Nous galopions avec mon cousin Coco, en enfilant la librairie, un corps de logis, la véranda, l’autre espace de vie puis l’autre magasin, en recommençant sans cesse ce circuit. Derrière le comptoir, trainait une règle d'un mètre en bois, de celles que l’on utilise pour mesurer les tissus. Je l’ai accrochée et en tombant, je me suis déchirée la lèvre supérieure. Tante Lily a fermé boutique et couru chez le plus proche médecin, un peu plus haut dans la rue. Pour accéder à sa salle d’attente, il fallait sinuer entre des animaux indigènes naturalisés. Ces postures poussiéreuses n’étaient pas un hymne à la vie. Le fil trop gros qu’il proposait d’utiliser, n’agréait pas ma tante qui préféra m’emmener à pied chez un autre praticien, cinq cents mètres plus loin. Malgré ce fil plus fin, il m’est resté pendant toute mon adolescence, une sorte de kyste à la lèvre qui s’est résorbé avec le temps.

Dimanche 2 août :

Les deux derniers jours ont été torrides. Les Belges se sont précipités à la mer où il fallait réserver sa place à la plage! Depuis le premier août, le Belge qui quitte le pays pour plus de 48 heures, doit remplir un «Passager Locator Form». Le formulaire rempli, il reçoit un QR code qui lui permet de prendre l’avion ou de passer la frontière.

Mardi 4 août :

Ce matin, tu as repris ton vélo comme si rien ne s’était passé jeudi dernier. Bien qu’édenté, tu es toujours un petit glouton affamé.

Samedi 8 août :

Aujourd'hui, tu fêtes tes deux ans.

Oncle Pelot vient de me déposer quatre bonsaïs en piteux état. Il y a deux ans, il a acheté en viager la maison d’une de ses patientes. Il ne versa que le bouquet et ne paya qu’une mensualité. L’ancienne occupante attendait qu’il soit propriétaire pour quitter son corps malade et son magnifique jardin, orné de superbes bonsaïs. Sachant qu’il n’avait pas les doigts verts, je lui avait proposé d’en recueillir quelques uns dont un bel érable. C’est seulement maintenant qu’il accède à ma demande. Ce n’est pas que j’aime cette nature torturée mais le travail et la passion que cela a requis ne peut me laisser de bois. Il va falloir du temps pour revalider ses grands malades.



" Noir " de la série " Les couleurs dans la nature "


NOIR

Le noir est la couleur du vide, de la tristesse et des funérailles mais aussi, dans le stylisme, du chic intemporel.

Noir comme le poil des Holstein qui paissent dans les prés, comme les fruits du sureau penchant vers la terre, comme le lisier et le basalte de la meule du moulin, originaire de l’Eifel voisine, comme la lignite qui a remplacé le charbon de bois dans les hauts fourneaux ardennais, comme la fonte des pompes à eau, des croix et des fontaines, comme le front du charbonnier qui travaillait sur les aires de faud, comme le plastique des ballots empilés le long du hangar de la ferme, comme les plumes du corbeau et le coeur du dolmen d’Oppagne, comme la nuit et le tarmac après la pluie, comme les nuages d’orage et l’ombre des arbres.

C’est la couleur d’Albert, le merle maudit de Dick Annegarn, du coprin noir d’encre à la fin de sa maturation, de l’intérieur du trou dans le tronc du vieux charme où niche la chouette, des cherbains sur le toit de la fermette de Pierre.

Le noir c’est l’infini, l’inconnu ce que l’on ne peut saisir et qui nous apeure.

Certains disent que ce n’est pas une couleur.

Il s’oppose à toutes les autres et principalement au blanc, la plus lumineuse.

Il a comme qualité de rehausser les autres tons.

Dans son poème « Voyelles «, Rimbaud l’associe à la lettre « A «

« A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles. «

Dimanche 9 août :

En 2020, la très huppée station balnéaire de Knokke est interdite aux touristes d’un jour. Un ghetto de luxe y est privilégié comme en Colombie où les personnes vivent en estratto. Ces parcs résidentiels sont classés par numéro de 1 à 6 qui définit le statut social du résident. Les parents d’Angelica nous avait reçu dans leur finca, cachée dans un estratto Nr 4; le rêve de la jeune fille était d’un jour accéder à un Nr 6. Dans l’estratto Nr 1, les plus démunis n'ont presqu'aucune charge. Ce sont les riches des Nr 6 qui en payant plus cher l’électricité, l’eau, les soins de santé et d’université et plus d’impôts, contribuent à subsidier les plus pauvres. Tant qu’à présent, la corruption a empêché la bonne réalisation de cette utopie.

Lundi 10 août :

Nous sommes partis pour trois jours à vélo dans une nature déshydratée par la canicule. Nous rejoignons l’Auberge de Jeunesse que notre neveu Guillaume gère à Tenneville. Cinquante cinq kilomètres de routes bucoliques, de chemins et sentiers forestier.

Mardi 11 août :

Nous nous dirigeons vers Houffalize, la ville où je suis née. Nous logeons à l’hôtel du commerce anciennement tenu par le cousin Willy et aujourd'hui par des Hollandais. Depuis que la célèbre bière «Chouffe» a été lancée au début des années 80, les Bataves ont envahi la ville et ses environs. Je voulais déambuler sur les traces de mon enfance mais elles ont disparu plus vite que dans ma mémoire. J’entre dans l’église Sainte Catherine vers laquelle nous descendions dans le froid et l’obscurité des matins d’hiver. Elle est toujours empreinte de dignité avec ses gisants et son maître-autel. Je m’assieds au premier rang, je me souviens des mignons enfants de choeur, nos compagnons de jeux que nous dévorions des yeux, de l’odeur de l’encens, de l’eau putride des bouquets de fleurs garnissant l’autel de la Vierge, de la tirelire du petit Noir qui hochait la tête quand on lui confiait une pièce, des bougeoirs que nous grattions le samedi après-midi sous la houlette de Soeur Marcelline, des confessionnaux où nous avouions les rares péchés que nous pouvions dénicher, des grilles du chauffage au sol qui soulevait nos jupes que nous rabattions de nos gants blancs, du jubé où, plus âgées, nous pouvions enfin monter pour chanter les cantiques et surplomber la masse des paroissiens. En sortant, je m'arrête face à la fenêtre, je ferme les yeux, le soleil perce mes paupières d’une lumière blanche qui vire au rouge vermillon mais la main de Dieu ne m’effleure pas. A l’extérieur, seul reste « le Café des Sports » de Jean-Jacques. Nous nous connaissons depuis l’école maternelle, où nous jouions ensemble, tout en évitant, la longue robe noire de soeur Cyprienne qui nous tétanisait. Les Houffalois s’y retrouvent autour du bar. Depuis le Covid, l’accès en est interdit au client qui doit attendre à table qu’on prenne sa commande. Ces irréductibles Gaulois sont à présent assis, accoudés aux tables, accolées au bar, continuant de converser de leur accent savoureux.

Mercredi 12 août :

Le chemin pour quitter la ville vers Achouffe, me rappelle la balade de confirmation où les garçons nous glissaient de jeunes grenouilles dans nos pulls. Puis c’est la montée du Bois Saint-Jean, dans la fraîcheur des sapinières, le long du ruisseau squatté par les castors et des landes où pullule la bruyère, emblème de l’Ardenne.

Alice vient de rentrer des vacances familiales. Elle reste à distance et ne s’élance pas pour me donner un bisou. Elle a trop peur de me contaminer. Dans les journaux, chaque jour, une page entière de la publicité « 11millionsderaisons.be" exhorte aux gestes barrière et à garder ses distances. Je suis une grand-mère qui passe son temps à tricoter des liens sociaux et familiaux. Je refuse que l’on me confisque mes aiguilles et que l’on détricote mon travail. Si à quatorze ans, elle ne donne plus de bisous à sa Mamy quand recommencera t’elle? Je me révolte. Je prends le risque de recevoir la tendresse de mes petits-enfants.

Dimanche 16 août :

Alice est venue sur mes genoux!

Lundi 17 août :

Ce matin, tu as râlé quand tu as appris que Paola venait seule chez nous.

Trois personnes de l’équipe de ta maman sont infectées. Géraldine vient de faire le test Covid à l’hôpital. Elle décrit ce moment d’attente comme une image de film catastrophe. Elle est restée dans sa voiture, en mode drive-in, une file indienne qui avançait vers le personnel médical équipé de pied en cape. Les résultats arriveront demain. Comme elle ne peut pas aller travailler, elle te gardera ce mardi.

Suite à une météo orageuse, une bagarre mémorable sur la digue de Blankenberge la semaine dernière entre jeunes et forces de police et les autorités qui déconseillaient d’engorger le littoral belge, le WE du 15 août a été un désastre économique pour l’Horeca au nord du pays. Les gens ont peur de s’y rendre. J’ai accueilli des hôtes qui possèdent un appartement à la mer mais préféraient le calme de l’Ardenne où la distanciation sociale est plus facile à respecter.

Mardi 18 août :

Géraldine est négative. Tu pourras venir demain. Youpie!

Jeudi 20 août :

Lucie et Paola repassent en coup de vent dévorer un cramique et une tasse de cacao. Elles participent à un camp VTT - nature. Malgré les bleus et les égratignures, elles s’accrochent. Paola ne se tait jamais. Elle aimerait acheter un IPhone 11 mais n’a pas un sou vaillant. A onze ans, sans ressources, ce sera difficile pour elle de réunir les 700,00 euros nécessaires à cet achat qui l’hypnotise. J’avais le même problème : des envies et pas d’argent de poche. Je m’extasiais devant les vitrines des commerçants : à la librairie, c’étaient les immenses boites multicolores de crayons « Caran d’Ache « qui me faisaient rêver, chez l’électricien, les pochettes de disque de Art Sullivan ou du Slade où quatre costauds arboraient le nom de leur groupe sur les doigts de leur poing tendu Quant au téléphone, il était fixe, placé dans le corridor. Les numéros étaient formés sur un cadran numérique. Parfois, l’appel était pour la voisine. Nous allions la chercher en courant puis nous nous esquivions à pas de loup pour ne pas déranger sa conversation.

Un nouveau CNS s’est déroulé aujourd’hui. La bulle des cinq personnes est maintenue jusqu’à la fin septembre. La bulle, par définition, est le lieu où l’on se sent en sécurité et protégé des éléments extérieurs. C’est un concept belge. Les autres pays européens ne l’utilisent pas. Depuis mars, la bulle est passée de cinq à dix puis à quinze pour revenir aux cinq personnes toujours les mêmes que nous pouvons fréquenter sans masque mais elle est rarement respectée car la majorité des gens que nous côtoyons sont fatigués des restrictions et apprécient de moins en moins le rabotage de leurs libertés.

Je n’ai retenu qu’un mot du prix Goncourt décerné à Sylvain Tesson, c’est « Poikilos », il vient de la Grèce antique et désigne la peau tachetée de la panthère des neiges. Est-ce mon vitiligo et mes bras pommelés qui me l’ont fait remarquer? Dimanche 23 août :

Pendant que tes parents sont en WE vélo, tu restes chez nous. Tu es à l’âge où tout ce que tu fais ou dis, nous amuse. Quand je te demande qui est le chef, tu réponds « maman ». Elle doit certainement te poser la même question quand tu lui tiens tête!

Tu parles de mieux en mieux et apprécies les bonnes choses. « C’est bon ça « dis-tu de tes découvertes.

Mardi 25 août :

Les touristes se raréfient, les forêts, les chemins, les villages retrouvent leur calme.

Mercredi 26 août :

Je pars à Liège faire quelques courses avec Alice. La ville me semble extrêmement calme. Je retourne au cinéma pour la première fois depuis le mois de mars. Le ticket est au prix réduit et unique de 5,20 euros. Dans la salle d’une centaine de sièges, il n’y a qu’une dizaine de personnes. Ce n’est pas le remarquable film chinois « séjour dans les monts Funchun » qui en est la cause. Tout comme dans le centre de la ville, le port du masque est obligatoire pendant la séance. Les spectateurs prennent leur distance l’un de l’autre et l’enlèvent, à une exception près.

Dans les rues, dessinées sur le sol, de grandes flèches indiquent le sens de la circulation. Nous sommes vraiment devenus des moutons de Panurge.


Jeudi 27 août :

Nous partons, enfin, voir l’exposition de Stephan Vanfleteren au FOMU d’Anvers. D’habitude, nous y allons en train mais l’obligation du port du masque nous fait choisir la voiture, plus confortable. Sur le Meir, la vaste artère commerçante, le port du masque est respecté. Ailleurs, par une personne sur deux. La rétrospective photographique est fabuleuse. Sur une photo prise au Rwanda pendant le génocide de 1994, je remarque les nombreux masques. Cela m’interpelle d’être masquée face à ce cliché : c’est un accessoire pour se protéger de la mort et de son odeur pestilentielle que nous n’utilisions pas à cette époque. A l’instant, j’ai l’impression de m’incorporer à cette équipe de brancardiers.


Vendredi 28 août :

La semaine prochaine, nous nous rendrons en France. Pour nos déplacements, chaque pays et certaines régions sont listées en zone verte, orange ou rouge. Ce sont les experts du CELEVAL qui déterminent les couleurs en se basant sur la situation épidémiologique. Au-delà de 20 nouveaux cas pour 100.000 habitants, la région passe à l’orange. Au-delà de 100 cas pour 100.000, elle passe au rouge. Les restrictions de voyage diffèrent d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, la Belgique met le département du Rhône en rouge alors qu’il est vert pour la France. Ces décisions sont prises unilatéralement et créent de l’angoisse chez les citoyens. Certains les contournent en délaissant le train et en covoiturant. D’autant plus que le contrôle aux frontières est inexistant. La règle veut qu’en rentrant d’une zone rouge, on se fasse tester et que l’on reste en quarantaine une quinzaine de jours.


Samedi 29 août :

Pour la deuxième fois cette semaine, tu repars deux jours en Allemagne. Quant à moi, je ne voyage plus du tout si ce n’est à travers mes lectures. Hier, j’étais à L.A. avec Harry Bosch. Aujourd’hui, je vis au Japon avec Keigo Higashino et son délicieux « Les miracles du bazar Namiya «. Demain, je partirai en Italie avec le dernier roman d’Elena Ferrante. Et puis, les voyageurs entrent dans ma maison. Ce soir, c’est une Kirghize qui a franchi la porte.

Comme indépendante, j'avais droit en mars, avril, mai et juin à un droit passerelle mensuel de 1291,69€. Pour juillet, août et septembre, je pouvais réclamer un autre droit passerelle de redémarrage car j’avais été obligée de fermer pendant le deuxième trimestre mais je ne pourrai le recevoir car depuis lors, je touche ma retraite.

Mamy se porte bien. Il suffit que son allée soit bien ratissée pour m’en rendre compte.

Jeudi 2 septembre :

Tes cousins sont rentrés à l’école. Pour nous, les vacances commencent. Nous partons vers Fleurie en Beaujolais.

Vendredi 3 septembre : Dés potron minet, nous partons pour la journée en reportage photo sur les vendanges.

Il est 6h00 - À l'est, le Mont Blanc se découpe sur la ligne d’horizon, gros gâteau à la crème sur fond de ciel rose. Il fait 14 degrés.

6h45 - Les tracteurs et les fourgons quittent la maison et le dortoir.

7h00 - Le jour est levé. Le terrain bourdonne de l’activité d’une vingtaine de Polonais dont trois porteurs de hotte qui descendent la pente raide et caillouteuse avec une charge de septante kilos sur le dos. Les cueilleurs filent entre les lignes de ceps, arrachant les grappes de leurs mains gantées, le dos courbé. Ils sont payé à l'hectare qu'ils couvrent en une demie-journée.

7h45 - Le Mont Blanc est gris. Il disparaît écrasé par le soleil qui le surplombe. La journée sera très chaude.



8h00 - Je redescends vers le cuvage. Les odeurs de vin titillent mes narines. Patrick, le patron, est occupé à l’arrosage des cuves : chaque jour, il pompe par le bas de la cuve, 6000 litres de jus afin de l’aérer puis le réinjecte par le haut de la citerne. Il en profite pour en mesurer la densité et la température. Demain matin, il effectuera le pressurage : les cuves dans lesquelles le vin est resté huit jours sont vidées puis terminées à la fourche par un ouvrier qui s’est faufilé dans la citerne. Les rafles sont passées au pressoir. Le vin qui en sort contient déjà, à un degré près, son taux d alcool définitif.



9h00 - Didier qui a déjà vendangé m’avait dit: "tu vas voir le casse-croûte est terrible". Aussi, je m imaginais des nappes à carreaux et des paniers d'osier. C'est sans doute le verre de vin à une heure si matinale qui a dû le séduire car les Tupperwares garnis de saucisson, chocolat et Baby bel, alignés sur une planche au bout de la remorque, ne sont pas très bucoliques. Pour les vendangeurs, ce moment de répit est bienvenu. Les conversations sont en polonais, français, anglais ou Google translation. " Smacznego - Bon appéti "

9.30 - Ça barbote dans les cuves. Patrick me tend un verre de blanc. Ce jus de deux jours est délicieux. Il est d’un beau jaune crémeux et opaque. Il ne contient pas encore d’alcool. Ce sera pour dans quelques jours.

Quand les tracteurs arrivent au cuvage, la benne rouge en polyester, remplie de raisin, est penchée pour laisser couler dans une bassine métallique le premier jus causé par les cahots sur les chemins. Puis elle est dressée à fond pour laisser tomber les grappes sur le tapis roulant qui les envoie dans la cuve après éraflage dans une vis sans fin. Toutes les grappes ne sont pas éraflées.

12:00 - Une coupure de deux heures avant de reprendre le travail jusqu’à 18:00 et le retour au cuvage pour la dernière benne et le décrassage des cueilleurs au tuyau d’arrosage dans l’ancien lavoir.



Samedi 5 septembre :

Nous enfourchons nos vélos pour un tour du Beaujolais. Nous croisons des tracteurs aux remorques remplies de raisin. Nos pneus écrasent des grappes tombées sur la route. Elles craquent comme du pain grillé. Nous traversons des villages calmes aux volets clos : Fleurie, Chenas, Julienas, Julié par de petites routes bucoliques avec de superbes descentes et des montées qui le sont tout autant, La Roche, Emeringes, Vauxrenard.

L'architecture rurale sent bon la France : bourg, ferme, château, gare, église, croix, épicerie-bar, cimetière ou monument aux morts. Quelques routes arborées ombrent notre dos. A certains endroits, elles sont tellement étroites que deux voitures ne peuvent se croiser. Halte pique-nique à Saint Joseph, sous les platanes de l'église en compagnie de la Vierge et de Bernadette Soubirous. La descente sur Beaujeu, compense la montée aux cols de Durbize (541m) et de Truges (496m), d’où nous surplombons la vigne et le paysage. Heureusement que la batterie de nos vélos nous épaule.

Dimanche 6 septembre :

Très tôt, je pars à la boulangerie et croise les vendangeurs qui montent vers la vigne, entassés dans les fourgons ou dans des remorques aménagées avec quelques planches. D'autres sont déjà à l’ouvrage dans la fraîcheur matinale. Hier soir, nous étions invités à une fête de fin de vendanges : la revole. Nous y avons côtoyé une cinquantaine de personnes dans une ambiance qui ignorait tout du Covid.

Je m'attable à l'extérieur pour déguster mon croissant. Le silence dans les vignes est sidérant. Seul un corbeau isolé croasse.

Certains viticulteurs ont terminé les vendanges avant le 1er septembre. Cette année est très hâtive. Sur les hauteurs, dans les coteaux surélevés, le travail bat encore son plein mais à cause de la sécheresse, le raisin y est de moins bonne qualité.

En France, il y a beaucoup de réaction contre le port du masque. Certains interpellent la justice. A Berlin ou à Rome c'est dans la rue que les manifestations se déroulent au cri de "liberté".

Depuis hier, 16h00, la Belgique a décrété que le Rhône était zone rouge. Nous sommes obligés de quitter cet endroit dans les 48 heures. De toute façon, nous partions vers le Vaucluse.

Lundi 7 septembre :

La route est calme en ce premier lundi de vacances. Nous sommes dans les Gorges de la Nesque. Nous croisons quelques voitures et motos, l'incontournable Motorhome qui serre les fesses en passant dans les tunnels et de nombreux cyclos. Soixante cinq kilomètres le long des champs de lavande défleuris, des forêts de chênes et de pins, sous l’oeil tutélaire du Mont Ventoux qui gratte le ciel à 1906m, passant du gris au blanc au gré des nuages.

Mardi 8 septembre :

Il y a 42 ans, j'enfilais ma robe de mariée. Quelques jours plus tard, sous un soleil de plomb, comme aujourd’hui, je pédalais en direction de Caromb. L’apéro anisé que nous avions bu dans l’obscurité de la salle à manger de l’ancien propriétaire du mas où nous logions, nous avait coupé les jambes. Au retour, j’avais bien failli jeter mon vélo dans le fossé et m’endormir à côté. A présent, nous pédalons dans nos souvenirs, entre vignes et oliviers, du Barroux au lac du Paty où nous avions cru mourir d'épuisement en le traversant. Le soir, nous nous rendions au bal populaire sur la place du village. C’était l'époque de Grease, d’Olivia Newton John et de John Travolta qui au contraire de nous deux, dansaient comme des dieux. Didier se rasait à la cave coopérative, le seul endroit où il pouvait profiter d'une prise électrique car notre logement isolé au milieu des vignobles n’en possédait pas. Nous pompions l'eau grâce à un groupe électrogène. Le frigo et la cuisinière étaient au gaz et les chandelles notre unique source de lumière. La maison est toujours là, agrandie, luxueuse et arborant une boite aux lettres verte réglementaire avec le numéro 860.

Jeudi 10 septembre :

Hier, nous avons quitté le Vaucluse qui comme le Rhône passe au rouge quand nous le quittons. Cette couleur nous provoque comme un toréador dans une corrida. Je sens nos enfants anxieux. Pour les rassurer, nous nous ferons tester à notre retour.

Nous sommes dans la Drôme. Nous partons pour une virée à vélo vers Vesc et l’auberge des Préalpes où nous avions passé notre deuxième nuit de noces, dans une petite chambre à mi-palier dans un antique lit défoncé. Nous y percevions tous les bruits du bar : de la voix peu sympathique du patron, à celle plus douce de son épouse, toujours maquillée à outrance et coiffée d’une choucroute peroxydée, à celle de Mimile, le facteur que la goutte faisait tellement souffrir qu'il se promenait en pantoufles dans le village dès qu'il avait terminé sa tournée matinale de 40km à mobylette.

Vendredi 11 septembre :

Dans le but de relancer le tourisme, le conseil général nous offre un chèque de 50,00€ par jour. Nous les utilisons pour payer l'hébergement, le resto et la Clairette. La Drôme est le département le plus « vert« de France. Nous sommes surpris de la quantité de produits bio proposés.

Dimanche 13 septembre :

Nous descendons de Saint-Julien en Vercors par la route des grands goulets pour démarrer une balade dans le Royans par de petites routes calmes, entre noyeraies et villages portant tous un nom de Saint.

Didier dévale les pentes en jouant de la sonnette comme s'il maniait le clairon. Les riverains perplexes le regardent passer.



Lundi 14 septembre :

Encore un record de température battu.

Quant à nos mollets, ils ont monté 1100m de dénivelé pendant une vingtaine de km, en traversant 6 cols (Croix, Pionnier, Machine.... ) puis la forêt de Lente avant de descendre par l'époustouflante route de Combe Laval qui surplombe le cirque du même nom.

Les routes sont moins fréquentées que durant le WE. Nous avons même vu débouler deux marmottes sous nos roues.

Mercredi 16 septembre :

Nous rentrons en Belgique sans avoir rempli le formulaire exigé par le ministère des affaires étrangères.

Il n’y a aucun contrôle à la frontière.

Jeudi 17 septembre :

Nous passons le test du dépistage du Covid - un écouvillon introduit dans le nez ou la gorge - chez notre généraliste qui ne porte aucune protection particulière. Au début de la pandémie, les testeurs étaient habillés comme des cosmonautes. Nous recevrons les résultats lundi. En attendant, nous portons le masque avec les rares personnes que nous voyons et surtout avec maman qui avait très envie de me serrer dans ses bras. Sur cent tests effectués jusqu'à présent par notre médecin de village, aucun n'a été positif.

Vendredi 18 septembre :

Te voilà de retour chez nous.

Lundi 21 septembre :

Premier jour d’automne dans une ambiance estivale de sécheresse. Les arbres manquent de tonus. Leurs feuilles sont déprimées. Elles commencent à quitter leur géniteur. L’orange et le jaune virevoltent de plus en plus dans les airs.

Nous sommes négatifs au test du Covid.

Jeudi 24 septembre :

Didier voulait partir pour quelques jours à moto en Autriche mais le Voralberg, le Land où il se rendait, est passé du vert au rouge et l’hôtelier vient de l’informer qu’il devait fermer son établissement.

Hier, le CNS a décidé, malgré l’augmentation de cas du Covid, d’alléger les mesures. Il n’est plus interdit de se rendre dans les zones rouges mais vivement déconseillé. La bulle de cinq que personne ne respectait est oubliée. La quarantaine passe de quatorze à sept jours. Ces décisions ne sont pas soutenues par les experts qui jugent la situation très préoccupante. Il y a en moyenne 1476 nouveaux contaminés par jour.


Dimanche 27 septembre :

En tant que photographe participant à la revue « Pourtant », je suis invitée au trentième Salon de la revue à Paris, les 10 et 11 octobre. Cela m’aurait plu d’y aller mais trois raisons m’en empêcheront : c’est le WE annuel de Christophe qui - depuis des années - vient chez nous avec sa famille et ses amis, le dimanche, j’apporterai mon aide au marché d’automne du moulin de Lafosse et de plus, partir pour Paris en zone rouge, n’est pas raisonnable car je recommence à travailler ce mercredi. Ensuite, l’offre Thalys a fortement diminué. Suite à la chute de moitié du nombre de passagers, l’entreprise a réduit son offre habituelle de 60%.

Comme la pluie est de retour depuis vendredi, les filles et les enfants sont venus pour une balade champignons. Notre récolte était nulle mais tu as eu un plaisir fou à courir d’une flaque à l’autre.

Lundi 28 septembre :

L’automne et le froid sont de retour. Longue balade solitaire dans la bruine et le brouillard, le long des lumineuses fougères aigles, couleur d'oranges rouillées. Au retour, j’achève « les Amnésiques » de l’autrice franco-allemande, Géraldine Schwarz. Une enquête journalistique sur les "mitläufer", ceux qui, comme la majorité des Allemands, ont marché avec le courant pendant la seconde guerre mondiale. Elle montre que cette amnésie touche aussi d’autres pays d’Europe. Je me suis rappelée qu’en 1993, de retour d’Autriche, nous nous étions arrêtés dans une auberge bavaroise. Comme le biergarten et la grande salle intérieure étaient complets nous nous étions retrouvés dans une salle étroite, toute en longueur, située à l’arrière d’un rideau. Nous étions heureux de pouvoir trouver une table et un repas. A notre grande surprise, les murs de la pièce étaient couverts de souvenirs nazis. Cela ne semblait n’intriguer que nous! Sur le même sujet de violence pendant la guerre, nous venons de regarder dans une salle déserte du Caméo à Namur - nous étions les deux seuls spectateurs -, « Painting Bird », un superbe film tchèque en noir et blanc, avec de magnifiques plans fixes qui ressemblaient à des dessins.



Mardi 29 septembre :

L’AFP fait état de plus d’un million de victimes du Covid dans le monde depuis le premier mort survenu en Chine, le 11 janvier 2020.

La pluie a cessé. Tu joues dans la boue et les flaques d’eau, chaussé de bottes rouges qui pour toi doivent symboliser le plaisir et la liberté. Tu ne te plais qu’à l’extérieur ou dans mes bras à lire des dizaines de livres.

Vendredi 1 octobre :

Après 493 jours, nous avons enfin un gouvernement et comme bonus, une nouvelle princesse car le roi Albert II a enfin reconnu Delphine, sa fille cachée.

Samedi 2 octobre :

Dans les prés au vert tonique, visibles des chemins que je parcours à vélo, des dizaines d’agarics sont coincés entre les bouses de vache. Didier est allé en ramasser ce matin et moi hier après-midi. Les hôtes du déjeuner ont apprécié leur omelette aux champignons.

Comme tout bon Européen, nous avons le regard tourné vers les Etats-Unis d’Amérique. Or, leur président, Donald Trump vient d’attraper le Covid. Cela risque d’avoir un impact sur les élections présidentielles qui doivent avoir lieu dans un mois.

Mardi 5 octobre :

Il pleut comme vache qui pisse. Dés ton arrivée, tu cours dehors.Tu préfères jouer dans " ta flaque de boue " plutôt que d’aller à la cueillette aux champignons. Avec ton petit ciré, tu adores te poster sous le toit d’où coule un filet d’eau, la bouche grande ouverte. Un vrai poisson!



Mercredi 6 octobre :

Suite à la tenue du comité de concertation qui remplace le CNS du gouvernement Wilmès, le nouveau ministre de la santé, Franck Vandenbroucke a annoncé la règle des QUATRE : la bulle sociale passe à quatre : ce sont les personnes avec lesquelles nous pouvons rester sans masque, dans les cafés, maximum quatre personnes par table, à la maison, quatre invités et en rue, quatre personnes maximum ensemble.

Jeudi 8 octobre :

Après Madrid et avant Paris, Bruxelles est la ville d’Europe au taux de contamination le plus élevé. Certaines communes densément peuplées, affichent 600 contaminations pour 100.00 habitants. Aussi, tous les bars et débits de boisson de la capitale doivent fermer pour un mois.

Le soir, pour échapper à cette sinistrose ambiante, nous sommes allés au théâtre de La Louvière, écouter Alain Chamfort et son parolier belge Jacques Duvall. Deux amis remontant le temps et leurs souvenirs avec une grande complicité. Ce fut une carte blanche surprenante, loin du chanteur pour midinette qui dans les années septante, passait à la fête du vin de Bomal et effleurait le bout des doigts des adolescentes qui évitaient de se laver les mains afin de sauvegarder son parfum pendant plusieurs jours. Avec ses allures de dandy et d’adolescent dégingandé, Alain nous a ravit de ses plus grands succès.

Quel plaisir se fut de se retrouver dans une salle de spectacle. Chaque bulle était séparée par un siège vide avec comme avantage de pouvoir poser ma nouvelle veste en tweed sur un dossier libre et d'étendre les jambes. Nous avons terminé la soirée par un verre au Palais de la Bière, un café belge comme nous les aimons avec foot à l’écran et les Filles du bord de Mer dans les diffuseurs. Un café toujours plein à minuit quand les panneaux de plexi qui séparent les tables s’écartaient comme par magie.

Vendredi 9 octobre :

Nos amis Bruxellois ont annulé leur WE annuel. Ils ont sans doute été contaminés et partent ce matin faire le test. Il est donc plus raisonnable qu’ils se mettent en quarantaine.

Samedi 10 octobre :

Encore et encore des champignons. C’est à présent les lépiotes qui s’étalent avec élégance. Et toujours aucun cueilleur en vue. Ce circuit court aurait-il disparu?

Dimanche 11 octobre :

Avec l’ASBL du Moulin de Lafosse, nous avons pu organiser notre marché annuel avec comme conditions de porter le masque, de récolter les noms et numéros de téléphone des participants et de respecter les distances. A l’accueil, j’ai constaté la docilité des visiteurs à donner leurs coordonnées. Même s'il y avait l'un ou l'autre anarchiste qui m'attrapait pour me faire la bise ou qui refusait de porter le masque.

Lundi 12 octobre :

La deuxième vague est de retour. Elle est pour l’instant moins forte qu’en mars car les soins médicaux sont plus affinés qu’au début. Les patients reçoivent plus vite de la cortisone et engorgent moins les soins intensifs. Le taux de mortalité chez les hospitalisés a également chuté. Il est passé de 21 à 9%. Le passage des études d’infirmiers de 3 à 4 ans en 2016 fait craindre une pénurie de personnel. Très peu ont été diplômé en 2020.

La perspective d’un nouveau confinement est de plus en plus abordée.

Mes amis canadiens le sont déjà : restaurants et bars sont fermés, de même que les piscines et salles de sport. Les familles ne peuvent plus se réunir. Cologne est également dans le rouge. Mon amie Irène a déjà annulé son WE de début novembre et je m’attends au pire dans les prochains jours d’autant que la Belgique est le pays d’Europe le plus touché. La tranche d’âge la plus contaminée est celle des 20-29 ans. Elle est suivie de près par les plus de 65 ans qui risquent le plus de développer des états graves du Covid.

Mardi 13 octobre :

Notre sortie à Bruxelles, dimanche prochain est annulée, tout comme notre repas avec le comité de lecture du prix du deuxième roman qui sera attribué fin du mois.

Chaque semaine, ton vocabulaire s’améliore et je suis ravie quand tu sors des mots comme saperlipopette, que le correcteur Google ne connait vraisemblablement pas!

Nous avons jonglé avec et transformé en Mamypopette ou Pépèrepopette. Cela t’a fait pouffer de rire.

Après ton copain Emile, c’est Joséphine qui quitte la crèche pour entrer à l’école. Tu n’en es pas trop affecté.

Mercredi 14 octobre :

J’ai l’application « coronalert » qui m’informe si j’ai croisé une personne porteuse du virus. Lancée le 30 septembre, elle a déjà été téléchargée un million de fois.


Samedi 17 octobre :

De nouvelles mesures viennent de tomber comme la très controversée fermeture des cafés et des bars pour un mois alors qu’ils étaient nombreux à avoir investi pour respecter le protocole imposé et qu'aucune étude ne prouve que les contaminations se passent principalement chez eux. Nous irons donc au resto, ce soir, avec un couple d’amis. Ce n’est pas raisonnable - je sais !

En France, un couvre-feu est instauré de 21:00 à 06:00 du matin, dans la région parisienne et huit autres grandes villes. Pour marquer cet événement, la revue « Pourtant « demande à tous ses collaborateurs de pondre texte, photo ou dessin inspiré par cette première nuit de confinement. J’ai envoyé la photo suivante avec l’intitulé : In memoriam iuventutis nostrae - A la mémoire de notre jeunesse car c’est elle la plus affectée. Elle ne peut plus fêter la nuit, une chape de plomb est en train de l’écraser.


In memoriam iuventutus nostrae (Lucie)


Dimanche 18 octobre :

J'ai passé l'après-midi avec San Antonio " Du mouron à se faire " qui poirotait dans la Cité Ardente en dégustant des boulets sauce tomate.


Mardi 20 octobre :

A présent, si on est asymptomatique, on nous recommande de ne plus se faire tester -

les files pour le testing sont trop longues. Les laboratoires sont engorgés. Le temps d’attente pour les résultats peut prendre cinq jours alors que pour enrayer la propagation, les positifs devraient être informés dans les 24 à 36 heures afin de se mettre le plus tôt possible en quarantaine. L’OMS recommande pourtant de tester les asymptomatiques. Ce sont les plus importants vecteurs de transmission car se croyant sains, ils contaminent sans la savoir.

Mercredi 21 octobre :

Tes cousins me disent ne pas être gênés par le port du masque à l’école. Alice, quand elle l’oublie, se sent aussi nue que si elle avait omis d’enfiler son T-shirt.

Le reconfinement se profile de plus en plus sérieusement. L’Irlande le fait déjà. Alors qu’ils n’ont que 232 cas positifs pour 100 000 personnes contre 800 en Belgique.

Jeudi 22 octobre :

A la différence de la première, dans cette deuxième vague nous connaissons des gens atteints par la maladie : Paul, 87 ans, sort aujourd’hui des soins intensifs, Vincent 62 ans - ton grand-oncle - y reste en état stationnaire, Sophie Wilmès notre ancienne première ministre et actuellement ministre des affaires étrangères vient d’y être hospitalisée.

Samedi 24 octobre :

Après une balade tonique où le vent a récuré mes poumons et lavé mon cerveau des dix pages sur le Covid du journal matinal, je viens de voter en ligne pour le prix du Deuxième Roman. Un pis-aller pour ce concours populaire qui exige des participants de se déplacer à Marche-en-Famenne pour voter - les procurations étant interdites - et rencontrer les auteurs en une journée dédiée à la littérature. Les organisateurs avaient pourtant fait le nécessaire pour s’adapter aux circonstances mais cela n’a pas suffi.

La Wallonie et Bruxelles instaurent un couvre-feu de 22:00 à 06:00. La région bruxelloise va plus loin en fermant les lieux de culture : théâtres, cinémas et en imposant à nouveau le port du masque sur l’ensemble du territoire, des mesures plus strictes qu’en Wallonie et en Flandre.


Lundi 26 octobre :

Une migraine m'a terrassée pendant toute la journée de dimanche m'empêchant d'accompagner Didier et les enfants à la chasse aux bolets qui surgissent depuis une semaine.

Les nouvelles sont mauvaises. Liège est épinglée par la presse internationale comme la ville d'Europe la plus contaminée par le Covid. Elle est en rouge dans le code couleur établit par les autorités afin de rendre la prise de décisions plus facile et accroître l’adhésion des citoyens d’une manière plus visuelle.

Les annulations pour la semaine prochaine - vacances d'automne - continuent. Je préfère ne pas avoir trop de monde dans la maison. C'est plus facile à gérer. J'hésite même à fermer complètement mais avec une ou deux chambres par jour, toutes les règles devraient être plus facilement respectées. C’est sans doute ainsi que je devrais continuer à travailler. Je m’étonne quand même que les Belges aient envie de partir en vacances alors que les politiques et scientifiques les exhortent à rester chez eux et que les restaurants et cafés sont fermés.

Nous nous sentons de plus en plus encerclés par le virus : Catherine, Philippe, Patrick et d’autres sont positifs au Covid. Cela ressemble à une grosse grippe qui cependant peut vite tourner au drame pour les personnes les plus fragiles qui se retrouvent alors en détresse respiratoire, l’oxygénation du corps étant défaillante.

L’école de Saint-Roch est de nouveau à l’arrêt. Tes cousins sont de retour à la maison au grand désarroi de leurs parents. Olivier est déjà en télétravail depuis plusieurs jours et il n’y a pas assez d’ordinateur pour faire travailler les trois enfants en video conférence.


Mardi 27 octobre :

Heureusement, ton arrivée le mardi colorie ce quotidien morose en rose tendre : de ta bouche édentée, tu croques d’énormes carottes du jardin, tu me taquines en m’appelant Mamou comme ton autre grand-mère et tu ris aux éclats quand je réponds " mais noooon, moi c’est Mamy ", tu chantes la Petite Josette, tu te délectes de mandawine ou tu parles de Lucie avec une voix et des yeux d’amour.

Le lycée de Paola est également à l’arrêt et les cours de Qi gong suspendus.


Mercredi 28 octobre :

Le magazine Pourtant a choisi ma photo « lignée lignée » pour son deuxième numéro intitulé « Naissance »



Jeudi 29 octobre :

Paola a douze ans. Elle n’attendait personne à son anniversaire. Quelle a été sa surprise quand en fin de journée et bravant les interdits, Emilie et Lucie ont pointé le bout de leur nez. L’arrivée de sa cousine chérie a été son plus beau cadeau.

Ce soir, nous devions présenter notre travail photographique au centre culturel de Hotton. Malheureusement, toutes les activités culturelles sont annulées. La mesure est passée au moniteur, hier soir, à minuit. Pffft, à 24 heures près, nous aurions pu le faire!

Vendredi 30 octobre :

La hausse des cas de Covid est vertigineuse. Les hôpitaux belges ont admis 743 patients sur la journée de mercredi, ce qui est un record absolu depuis le début de l’épidémie.

Le comité de concertation de cet après-midi nous confine à nouveau pour six semaines mais plus légèrement qu’en mars. Les déplacements ne seront plus limités, nous pourrons avoir un invité privilégié par famille, nous balader avec trois amis et les enfants rentreront à l’école le 16 novembre. Ces mesures sont dites de la dernière chance car la grande faucheuse ricane à nouveau dans les hôpitaux. Les différents services ferment afin que tout le personnel se recentre sur le traitement des patients Covid.

Dans nos pires cauchemars, nous n’avions jamais élaboré un tel scénario d’Halloween.

Samedi 31 octobre : Les hôtels et B&B peuvent rester ouverts en servant les repas dans la chambre. Chez moi, les annulations continuent. Cela me rassure, je préfère ne pas accueillir trop de monde dans ma maison.

Catherine me téléphone a l’instant. Voilà plus d’une semaine qu’elle est malade et toujours très essoufflée. Les nuits, tout son corps est douloureux et elle n’arrive pas à dormir.

Dimanche 1er novembre :

Hier soir, nous avons dégusté une déclinaison sur le bolet - entrée, plat, dessert - préparée par Victor, mon neveu de 17 ans qui suit les cours de l’école hôtelière. Nous ne nous sommes pratiquement pas vus de tout l’été mais nous tenions à manger une dernière fois ensemble avant le nouveau confinement.


J’ai toujours travaillé le premier novembre. Comme ce matin, je n’ai pas d’hôtes, je pars avec mon appareil photo immortaliser - le mot est bien choisi - Emilie qui dépose les commandes de chrysanthèmes au cimetière.

Quand j’étais fleuriste, nous - Didier, maman et la vendeuse - attendions la fin de la nuit pour monter vers le cimetière, les brouettes et charrettes remplies de chrysanthèmes qui des années septante à l’an 2000 passèrent de l’immaculé à la couleur. Cela nous facilitait la vie, les blanches poitevines étant beaucoup plus gélives que les multicolores. Il n’y a pas que la couleur qui a changé avec les années, le poids de la plante également en passant des lourds pots en terre aux récipients plastiques. Les livraisons devaient être terminées pour la messe de 10:00 à laquelle les fidèles se rendaient habillés sur leur trente-et-un, trop bien sapés que pour porter les lourdes potées. Comme les destinataires étaient absents ou plutôt six pieds sous terre, il fallait que nous connaissions les lieux par coeur.


Vu que nous ne livrions qu’une fois par an, nous pouvions avoir quelques hésitations quant à la bonne adresse. Même si l’endroit était lugubre dans la brume de novembre qu’affectionne la vallée, nous pouvions pouffer de rire. Comme le matin où posant un chrysanthème en passant par l’arrière d’une stèle, celle-ci s’était affaissée me laissant gésir de tout mon long sur la tombe d’un certain Paul qui aurait certainement préféré que cette situation se déroule de son vivant.

Après l’office, les clients passaient au magasin, situé en face, pour payer leurs plantes non sans avoir vérifié par une visite sur la tombe qu’elles avaient été déposées à la bonne adresse. Ce service à domicile tend à disparaître. Encore deux ans me dit Emilie et je n’aurai plus rien à faire. Je n’en doute pas en passant devant les nombreuses tombes abandonnées qui il y a vingt ans encore rivalisaient de couleur.

Tout comme moi, elle commence novembre les ongles cassés, les doigts noirs et crevassés.


Lundi 2 novembre :

Le deuxième confinement commence aujourd’hui. Le magasin de ta maman étant fermé, la voilà de nouveau à la maison pour plusieurs jours. Elle m’a promis que tu viendrais la semaine prochaine passer deux jours chez nous. Emilie peut ouvrir sa boutique mais n’a pas l’autorisation de vendre de la décoration car elle ferait de la concurrence aux magasins de déco qui doivent rester fermés tout comme les coiffeurs, salons d’esthétique, magasins de vêtements, marchands de jouets, de vélos - les réparateurs peuvent travailler. Bref, tout ce qui est superflu! Par contre, elle peut vendre sa déco en ligne ou la déposer en dehors du magasin et se faire payer par compte. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué!

Didier se sent grippé depuis plusieurs jours et pour s’assurer que ce n’est pas le Covid vient de se faire tester chez le médecin du village. Lundi dernier, il s’était perdu dans les bois sans GSM et s’était retrouvé au milieu d’une chasse. Heureusement, il n’a rien d’un gros lapin! Un chasseur lui avait prêté son téléphone et remis sur le droit chemin. Comme il avait couru comme un dératé pour nous rejoindre à Werbomont, à 4km du lieu de rendez-vous, il lui semblait que cette transpiration l’avait refroidi.

Mardi 3 novembre :

Ce ne sont pas ses courses dans les bois qui ont rendu Didier malade mais bien le Covid. Il est positif. Nous devons nous mettre en quarantaine pour dix jours. Je viens d’annuler et de reloger les quelques clients qui me restaient le WE prochain. Je toussote depuis deux jours mais cela ne m’a pas empêchée d’aller pédaler pendant deux heures et hier, de me balader tout autant. Pour mon médecin si je ne suis pas symptomatique, je ne peux pas me faire tester mais respecter dix jours de quarantaine avec Didier.

Mercredi 4 novembre :

Le temps est lumineux, pour prendre l’air, sans sortir de notre espace, je nettoie le jardin. Le soir, je prépare des frites et Didier affalé devant la télévision ne réagit même pas. L’un des symptômes du Covid est la perte de l’odorat et du goût. Il est également fort fatigué mais n’a pas les autres manifestations que sont la fièvre, la toux, les courbatures, la diarrhée, les maux de tête et autre conjonctivite.

Nous avons offert un ordinateur aux enfants d’Emilie. Géraldine ne voulait pas en entendre parler. Avec Manu, ils arrivent à gérer télétravail et devoirs scolaires avec un seul ordinateur.

Les trois enfants qui reçoivent leurs devoirs via Moodle sont ravis de cette nouvelle acquisition.


Jeudi 5 novembre :

Didier n’a aucune énergie et traine encore en pyjama. Nous jouons aux cartes, je taille les plantes des parterres puis continue de scanner les nombreuses photos des Bonmariage - les grands-parents maternels de Didier.

J'ai un peu mal à la gorge et les yeux qui piquotent mais pas d'autres symptômes. Les journées sont mornes, uniquement rythmées par les élections américaines de ce 3 novembre qui avec le Covid font l’essentiel de l’actualité dans les journaux et les médias. C’est un véritable suspens. Joe Biden était donné gagnant par les sondages mais la vague bleue démocrate n’a pas eu lieu. Trump, qui n’a jamais su s’élever à la hauteur de la fonction de président, lance des accusations de fraude au vote et se comporte d’une façon antidémocratique quand, hier, il a annoncé être le vainqueur alors que tous les bulletins ne sont pas encore dépouillés.

Samedi 7 novembre :

Depuis la fin de l’après-midi, Joe Biden est annoncé gagnant. Il sera le 46ième président des Etats-Unis et Kamala Harris, la première femme vice-présidente. Aux infos, on voit le grand soulagement de la population qui a participé à plus de 66% à ce vote historique. Trump ne reconnaît pas encore sa défaite.

Ici, c’est la solitude de la quarantaine. Nous ne voyons personne. Cécile a déposé mes courses devant la porte et je lui rembourse via son compte bancaire. Nous lisons, jouons aux cartes, dormons. Je comprends mieux maman qui vit tous les jours a ce rythme et "s’emmerde" comme elle dit. Encore quelques jours de patience et nous pourrons à nouveau bouger mais sans nous envoler. Les voyages ne sont pas encore au programme. Loin de là ! Pourtant, j’aimerais tellement être à Folkestone en train de déguster un afternoon tea. Je suis certaine que ça me remonterait le moral.

Lundi 9 novembre :

Il fait 16°, un temps printanier mais avec des journées courtes d’hiver. Je travaille au jardin et sors mon vélo après une semaine d’inactivité. Les bois sont libres. Il n’y a plus de chasse. Avec un groupe maximal de quatre personnes, il est difficile de traquer.

Le pic des hospitalisations de la deuxième vague semble passé. Les hospitalisations commencent à diminuer. Dimanche, il y avait 6 893 lits occupés. Jusqu’à présent, le virus a causé la mort de 12 907 personnes.

Mardi 10 novembre :

C’est l’anniversaire de notre fiston. Mais Mamy, me diras-tu, tu n’as pas de fils. Et si, pendant un an, j’en ai eu un. Luis est venu en 2014-2015 de Caracas comme étudiant d’échange. Vivre avec une personne dans la maison pendant onze mois, c’est l’incorporer dans la famille comme un membre à part entière même si Emilie a toujours dit qu’il n’était pas son frère. Mais tu connais l’humour de ta tante et son sens de la famille. Elle a profité de ces trois jours de congé pour louer un gîte à la mer. Une file de 45 minutes chez le poissonnier pour acheter un plateau de fruits de mer, aucun café ouvert pour déguster une Rodenback mais le plaisir de longues balades sur la plage.

Le temps est tellement doux que la porte du jardin située plein sud reste ouverte pendant plusieurs heures. Je respecte ainsi la règle qui nous recommande de bien aérer l’intérieur des maisons pour les décontaminer.

Le premier confinement, nous paraissait unique, exceptionnel, nous avions plein d’attente pour l’après. Avec cette deuxième vague, nous nous renfermons sur nos petites vies. Nous n’avons plus de projet. Y aura t-il une troisième vague en février? Pourrons-nous revivre normalement?

Heureusement, il y a la littérature. Pour l’instant, je partage la vie de Jack dans Tattoo. Les auteurs américains depuis que j’ai découvert John Irving dans le monde selon Garp et T.C. Boyle avec Water music ont toujours ma prédilection. Earl Thompson ne déroge pas à la règle, ni Donald Ray Pollock même s’il porte un prénom qui n'a plus la cote depuis Trump.

Jeudi 12 novembre :

Bonne nouvelle : à cause du manque de rentrées suite à la pandémie, la cotisation à l’AFSCA - l’agence de sécurité alimentaire - ne devra pas être payée cette année. Cela me fait économiser 175,00 €.

Après six semaines de conflit, la guerre du Haut-Karabakh entre Arméniens et Azéris, se termine par un cessez-le-feu, signé mardi et une victoire de l’Azerbaïdjan. Ce dernier était épaulé militairement par la Turquie. l’Arménie n’avait aucune chance face aux drones et aux mercenaires venus de Syrie et fournis par les Turcs.

Ce conflit me touche car l’année dernière, nous avons arpenté l’Azerbaïdjan - ce pays désertique, nouvellement enrichi par le pétrole - et douze mois plus tôt, l’Arménie.

Deux pays que tout oppose depuis des siècles.


Impressions d’Arménie :

Nous avons pris le car à la gare routière de Tabriz en Iran vers 19:00 du soir.

A la frontière, les voyageurs doivent sortir tous leurs bagages des bus et passer la frontière à pied. Moment de liberté intense quand au centre du pont qui traverse l’Araxe, le fleuve frontalier, une jeune Iranienne enlève son foulard, le faisant tourner au-dessus de sa tête en criant « Freedom ».

Le jour se lève sur l’Arménie, sur les montagnes rose tendre et les versants au sommet desquels s’effilochent les nuages. Nous pouvons regagner nos bus après quatre heures d'attente au contrôle.

Je suis fatiguée, j’étends mon siège sans intention de m’assoupir car je veux profiter du

spectacle. A présent, la montagne est rousse de tous les arbres aux couleurs d'automne qui la couvrent. Après avoir longtemps suivi une vallée, nous commençons à grimper en dépassant des camions sur des routes tortueuses et en mauvais état.

Ouh, ouh, tous les lacets à ma gauche. Quelle belle descente!

Tout le voyage, ça sentira le mazout!

Après cinq heures de route, le chauffeur s’arrête pour la pause pipi. Il était temps!

Le déjeuner est le même qu’en Iran.

De nombreuses voitures ont la conduite à gauche. Les voitures d'occasion importées du Japon sont moins chères que les européennes!

Nous avons loué un appartement au centre d’Erevan, un quartier complètement modernisé. Le confort nous change des nuits passées sur les tapis iraniens. La population est jeune. De grosses cylindrées circulent en ville.

Nous louons une voiture pour visiter le pays et partons pour Areni et la plus vieille cave viticole au monde. Le logement chez l’habitant nous ramène quarante plus tôt dans les B&B d’Irlande : les vêtements des propriétaires sont dans l’armoire, les jouets du gosse dans la salle de bain, la vieille maman nous accueille après moult péripéties pour trouver la maison à travers les chemins défoncés. Où sont passés les proprios?

La langue est différente, tout aussi hermétique pour nous que le persan.

Puis, c’est le superbe monastère de Novarank. L'Arménie est le premier état a avoir reconnu le christianisme. Tous les monastères sont gratuits, toujours dans leur jus et accessibles dans toutes leurs parties.



Nous slalomons entre les vaches et les moutons qui se baladent calmement sur les routes avant d’atteindre le lac Sevan, au bord duquel les vendeurs de poisson attirent les clients, les bras grands ouverts et les index levés puis c’est Dilijan, aux petites maisons nichées dans la verdure, les collines sont couvertes de forêts. Le centre possédent des immeubles soviétiques aux fenêtres dépareillées où le linge pend.



Nous pénétrons dans un paysage montagneux, aux vertes prairies et aux rousses forêts alors que le sud du pays était brûlé et désertique. Nous suivons toujours l’ancienne route de la soie, avec des vieux collectivos russes et des Ladas qui roulent à fond la caisse. Vanazdor. Partout des tuyaux jaunes qui encerclent les villes en soulignant les portiques des propriétés et en enjambant les rues. Partout des fontaines où nous rinçons le raisin et remplissons nos gourdes. Partout, le long des axes routiers, des dizaines de marchands qui vendent la même chose même si d’une ville à l’autre, les fruits et légumes diffèrent quelque peu. Nous atteignons Stepanavan puis via une piste de 20km où les pneus éclatent comme des citrouilles bien mûres, le village désuet de Privolnoye, créé par les Cosaques en 1840.



Aucun resto, juste en fin d’après-midi, un débit de viande archaïque où l’on nous grille trois gros morceaux de viande servis avec du lavash. Puis nous rejoignons les monastères de Haghpat et Sanahin en suivant un canyon au bord duquel s’arrêtent les champs cultivés. Les paysans récoltent les pommes de terre et brûlent les fanes. Le paysage est superbe et nous chargeons encore un autostoppeur.



Nous rentrons vers Erevan où ce matin, le mont Ararat est visible. Aucun nuage ne cache le sommet enneigé. Ce mont emblématique situé en Turquie est à portée de vue mais inaccessible pour les Arméniens. La frontière est fermée, tout comme celle avec l’Azerbaïdjan. On ressent la tristesse du pays. Comme le note Sylvain Tesson, la douleur y est une seconde nature.


L’Arménie regorge de sites religieux ancestraux, elle est fière de son histoire et de son immense diaspora dispersée à travers le monde : de nombreux portraits des Arméniens les plus connus sont imprimés sur des banderoles suspendues au-dessus des routes, comme celui de Charles Aznavour, décédé pendant notre séjour à Erevan. Ses chansons passent en boucle dans tous les restaurants et espaces publiques. Une véritable anthologie de sa carrière.

Le contact humain est difficile, les gens sont méfiants et parlent peu l'anglais. Le pays est toujours très rural et très religieux.



Nous le quittons pour rejoindre Tbilissi en taxi, moins cher - 60,00 € - et plus rapide que le train avec l’avantage que notre chauffeur - qui ne parle pas un seul mot d'anglais, se gratte dans le nez et téléphone sans arrêt - nous arrête aux monastères de Hagharstsin et Gochavank pour le même prix. Le passage de la frontière géorgienne à Bagrastashen se fait sans encombres.




Impression d’Azerbaïdjan :

Arrivé par avion à Bakou en transitant par Istanbul, nous passons les trois premiers jours dans la capitale. La vieille ville est en voie de restauration et au patrimoine mondial de l’UNESCO. Autour d’elle, les nouvelles constructions pullulent. L’architecture moderne y est reine et se reflète dans la mer Caspienne.



Il n’y a pas grand chose à visiter dans le pays. J’aurais du m'en douter quand le premier jour nous avions déjà visité trois des cinq sites majeurs dont de minuscules volcans de boue. Le plaisir étant dans la course effrénée du taxi pour nous y conduire. De vielles Lada qui vont et viennent à fond la caisse pour conduire les touristes vers ce phénomène géologique qui ferait bien rire un Islandais.



Le long de la côte, des routes à six bandes viennent d’être construites. Il faut en sortir pour dénicher des plages bien cachées bordées de petits kiosques. Où que l'on aille il y a un samovar qui fume et le thé se partage tout comme le caviar que deux Russes proposent à Didier avec un verre de vodka.

Lors d’un arrêt dans un petit resto, le long de la voie rapide. On nous introduit dans un petit cabinet privé, lambrissé de sapin avec climatisation et télévision. Le serveur, un peu timide, frappe avant d’entrer et ne sait prononcer que "da" ou "yes". Partout, on nous prend pour des Russes.

Les hôtels qui commencent à sortir de terre dans la périphérie de Bakou s’arrêtent à la bande d'herbe verte qui délimite leur parking. Au-delà et sans ligne de partage commence le terrain vague qui borde la plage sur laquelle roulent et se garent les voitures au plus près de la mer. Les chiens errants divaguent entre les nombreux cabanons. Les petits bars fait de bric et de broc sont fermés. La saison touristique est terminée. Nous sommes fin septembre et la température fraîchit. En soirée, quelques pêcheurs s'installent sur un groupe de rocher isolé. Un père de famille s'active avec son barbecue, me hèle et me propose de partager leur repas. Plus loin, Didier se fait inviter à boire le thé. Avec ce vent, allumer le samovar n'est pas chose aisée pour le barbu religieux qui demande à ne pas être photographié.


Nous quittons la capitale et montons vers la frontière russe, en suivant les panneaux qui indiquent Rostov-sur-le-Don à plus de 1 200 km. Des puits de pétrole parsèment le paysage, ils pompent en agitant inlassablement leur balancier. Les plages sont à présent désertes, drapées de sable satiné au reflet doré, clairsemées de statice bleu. Il n’y a pas de stations balnéaires.

Les logements sont froids, peu accueillants sauf chez John et Tania, à Ivanovka, un des rares villages à avoir gardé son style de vie russe : toutes les maisons y sont recluses sur leur lopin de terre, les tuyaux à gaz serpentant le long des larges rues ou chemins de terre, montant et descendant en encadrant les portails bien clos. Cela ressemble à la Roumanie. Les vieilles brossent les caniveaux de leur large balais de branches.

Dès qu'il y a quelques arbres et un peu de nature, les restaurants champignonnent .

Ce sont des kiosques disséminés à l’ombre des arbres. La nourriture y est toujours saine et excellente. Le réseau routier est bon et en pleine évolution mais il faut louvoyer entre les chiens errants vautrés au soleil, éviter les vaches qui divaguent en toute liberté. La campagne est ouverte, arpentée par de nombreux troupeaux de moutons et leur berger. Les seuls grillages sont autour des vignes parfois surmontés d'un mirador.

Il n’y a pas de panneaux publicitaires le long des routes mais des photos géantes du président Eliyev. Il est représenté par des statues monumentales sur toutes les places et de nombreuses prospekti portent son nom.



En dehors de Bakou, le tourisme n’est pas très développé. Le magnifique lac Goygol est accessible mais on ne peut en faire le tour. Il faut dire que la frontière arménienne n’est pas loin. A proximité, un vertigineux ascenseur extérieur en béton conduit à un hôtel. La démesure de cette architecture choque dans ce superbe décor.Celle des nouveaux bâtiments est souvent pompeuse. Sinon, les maisons sont simples, crèmes, avec pour seule décoration une frise au bord du toit, en fer blanc, dentelé, ajouré ou repoussé.

Sur les larges routes, circulent une flopée de Lada. Elles sont bourrées de gens et de fruits divers, grenades ou melons. La photo que nous dépassons sur la quatre bandes, c’est : une Lada aux flancs bleu, le bras bronzé du conducteur penché sur le volant, poussé dans le dos par des dizaines de melons jaunes dont la voiture est saturée. Le tout enrobé dans la lumière dorée du soleil couchant.

Après dix jours, nous rejoignons Bakou pour prendre le train de nuit pour Tbilissi. Douze heures peu reposantes dans un compartiment couchette avec un steward par wagon qui nous approvisionne en thé.

Vendredi 13 novembre :

Emilie est noyée sous les gerbes mortuaires. Le nombre de morts est anormalement élevé et les centres de crémation sont débordés. Il faut parfois attendre plus d’une semaine pour que le défunt soit incinéré.

Samedi 14 novembre :

Tu es revenu chez nous pour la première fois depuis le début du confinement.

Ce matin, à la radio, j’ai entendu une phrase interpellante de la philosophe liégeoise Vinciane Despret : « On ne sait rien au fond du pouvoir hautement révolutionnaire des catastrophes ». Cette citation pourrait bien s'adapter à la révolution du Covid.

Lundi 16 novembre :

Le confinement est loin d’être terminé mais tes parents te conduisent à nouveau à la crèche deux jours par semaine. Il est important pour toi que tu gardes des contacts avec des personnes autres que ta famille proche. Pour la première fois, Saint Nipolas (sic) est passé dans tes baskets. C’est sans doute la perte de tes deux incisives supérieures qui t’empêche de prononcer les R. C’est dommage car tu t’exprimes bien et tu es frustré quand parfois nous ne te comprenons pas. Quand tu auras quatre ans, le dentiste pourra te placer un bridge en attendant ta nouvelle dentition.

Je n’ai pas réclamé la prime de 3 500 € que j’aurais pu obtenir avec mon activité de photographe. Ce montant serait excessif par rapport à ce que je facture sur une année et puis cette dette COVID que nous engendrons, par qui sera t’elle payée? Par nos enfants?


Mardi 17 novembre :

On parle de plus en plus d’un vaccin fiable à 95 % et disponible à partir du premier trimestre 2021. Cela permettrait un possible retour à une vie normale à partir de l’hiver prochain quand plus de 70 % de la population aura été vaccinée.

Après trois semaines d’interruption, les enfants ont repris le chemin de l’école. Ils doivent rester assis à leur banc pour manger, il n’y a plus de cantine. Ils peuvent cependant sortir pour la récréation. Ceux de première année d'humanités vont tous les jours en classe. Alice, qui est en troisième, a des cours en présentiel une semaine sur deux et les classes sont divisées en deux. Cela lui convient mieux. Elle participe plus au cours quand elle est en petit comité.

Dans le jardin, le vent se lève et chasse les magnifiques feuilles dorées du tilleul d’Alice.

Jeudi 19 novembre :

Nous avons décroché nos photos au centre culturel de Hotton. Deux jeunes artistes étaient en répétition. Le ministère de la culture a demandé aux centres culturels de prêter leurs infrastructures aux artistes afin de les aider. Julia et Arthur, pour qui c’est la première collaboration, viennent du monde du cirque et profitent de ce confinement pour mettre en place leur premier spectacle. Ils ne sont pas encore au stade de le présenter et n’angoissent pas trop sur l’avenir.

J’ai croisé Michèle, très frustrée par le déroulement des funérailles de sa belle-mère. On limite le nombre des visites à quinze personnes à un moment où la famille devrait se soutenir. De plus, le confinement avait empêché certains petits-enfants de revoir une dernière fois leur grand-mère en vie.


Dimanche 22 novembre : Ce matin, Saint Nipolas a déposé des chopolats dans tes chaussures. " Hum, c’est bon ça ! "

Un petit clin d’oeil d’Olivier, le meunier de Lafosse. Le supermarché Aldi l’a contacté pour revendre ses produits. Pas sûr qu’il pourra les fournir. C’est cependant la preuve qu’il y a du changement dans l’air si les grandes marques commencent à l'approcher.


Jeudi 26 septembre :

Nous avons repris un abonnement au théâtre de Liège. Notre premier spectacle « Pink Boys » est annulé tout comme tous les autres en Belgique.



Un nouveau comité de concertation vient d’avoir lieu. Il a été décidé que la bulle familiale ne pouvait être agrandie que d’une seule personne pour les fêtes de Noël. Une maxime classique « Noël au balcon, Pâques aux Tisons » vient d’être revisitée par le Corona, cela donne : « Noël chez grand-mère, Pâques au cimetière ». Il faut dire que la situation reste dramatique. Nous sommes toujours dans une phase descendante où les contaminations restent importantes, 439 cas par 100 000 habitants pendant les quatorze derniers jours. Pour passer à un assouplissement et une phase de gestion, il faut que ce chiffre descende en dessous de 100 contaminations.

Les commerces non essentiels pourront rouvrir excepté les coiffeurs et tous les métiers où il y a un contact. Ta maman recommencera à travailler lundi prochain.

Les musées et les bassins de natation rouvriront également. Il me reste encore des abonnements piscine de l’hiver dernier, pour moi et les jumeaux, mais je n’ai vraiment pas envie d’aller plonger dans ce climat d’angoisse. Par contre, j’irais bien visiter une expo photos à Louvain-le-neuve. Avec toutes les mesures misent en place, le risque est moindre d’être contaminé.

Samedi 28 novembre :

En sortant de la voiture, devant chez maman, j’ai eu un coup au coeur. Papa qui est mort depuis 8 ans était au sommet de l’échelle et taillait le lierre qui couvre le mur. Jean-Marie, le voisin, portait la même casquette bleue de marin, la même veste sans manches et le même pull à Jacquard : tout pour créer cette illusion de résurrection.

Maman, dans sa salle de bain, enfilait son pantalon en restant debout. Elle m’étonnera toujours !

Catherine et Philippe sont passés. Ils faisaient un tour à vélo. Le temps étant magnifique, nous sommes restés sur la terrasse pour partager un verre de vin à distance raisonnable. Pierre est aussi venu. Il a difficile d’accepter le confinement. Il est tout comme une tranche de la population : coronasceptique.


Dimanche 29 novembre :

Les chasseurs sortent du bois et rechargent leurs fusils. Ils repartent par groupe de quatre sans partager de casse-croûtes et de petits verres. Félix est parti traquer. Il adore ses journées en forêt avec son copain.


Félix au chapeau tyrolien


Mardi 1er décembre

Tu n’aimes plus aller à la crèche. Depuis qu’Emile et Joséphine sont partis pour l’école maternelle, tu es le seul grand et tu t’ennuies.

J’ai eu une agréable surprise en croisant Saint Nicolas dans les rues de Barvaux. Il n’a vraiment peur de rien, le Grand Saint, pour sortir par ce temps de confinement.

Le chat du voisin squatte le fauteuil de Mamy. Ce qui lui fait une agréable compagnie.


Mercredi 2 décembre :

J’aimerais savoir si j’ai eu le Covid. A présent les tests pour les asymptomatiques sont de nouveau possibles mais ne sont plus gratuits. Il m’en coutera 46,00 €. Les règles changent tout le temps. Pour éviter ce surcoût, le médecin fait une prise de sang, une analyse qui me coutera moins cher et dont le résultat montrera que je suis immunisée.

Samedi 5 décembre :

Pour son cours de français où elle étudie La Fontaine, Alice devait créer une petite fable. Tout comme moi, elle adore écrire mais est bloquée par l’orthographe.


Les moutons


Par un été enflammé,

Dans une vallée trottinant,

Un mouton blanc assoiffé

Aperçu un bel étang.

S’approchant prudemment

De ce lieu si charmant

Pour s’y désaltérer,

se fit abordé méchamment

Par une voix décidée.

Tu es bien ignorant

Tous les moutons blancs.

Toi, étranger et différent,

Passe ton chemin,

petit vaurien.

Cette mare est réservée.

Si tu bois, nous ne passerons pas l’été.

Retourne d’où tu viens,

Lui dit un imposant mouton

Suivi de sa bande d’ovins

Aussi noir que du charbon.


Notre innocent poltron

Vers la montagne s’enfuit

Trouvant une source en amont

Où il se désaltéra.


Quand l’automne débuta,

Que le lac fut asséché,

le troupeau de soif bêlant

Émigra en pénétrant

le territoire de l’Etranger.


Touché par la désolation

De l’attroupement.

Notre accommodant

Mouton blanc,

Partagea sans affrontement

L’onde apaisante.

Le bonheur de les voir rassasiés,

Illumina sa journée.


Ne restons pas indifférent

Ni Noir, ni blanc

Nous sommes tous équivalents


Mardi 8 décembre :

Comme il faisait froid, je suis venue te chercher à Liège avec les mains gantées. Tu m’as demandé pourquoi j’avais mis des bas à mes mains.

Nous avons commencé à préparer le sapin de Noël. D’habitude, j’en installe un dans la véranda de 2m50-3m mais cette année, les pépiniéristes ont été dévalisés comme pour beaucoup d’autres variétés de plants. Tout le monde profite du confinement pour travailler au jardin. Toi aussi! Tu as joué avec ta nouvelle brouette et tes outils de jardinage que Saint Nicolas avait déposé ce matin.


Mercredi 9 décembre :

La grande-Bretagne a commencé à vacciner la population. C’est un des pays les plus touchés avec plus de 61.000 morts du Covid. Les personnes prioritaires sont les personne âgées et le personnel des soins de santé. Aujourd’hui, c’était les funérailles de notre voisin, mort du Covid à 81 ans. De nombreuses personnes de notre village ont eu le Covid. Certains sans symptômes, d’autres ont été plus affectés pendant deux ou trois semaines.


Vendredi 11 décembre :

Parmi les 110.00 personnes venant de zones rouges et entrées en Belgique en novembre, seulement 154 ont été testées et 12 se sont avérées positives. Les voyages sont déconseillés mais pas vraiment controlés.

Pourtant à partir du 18 décembre, toute personne revenant d’une zone rouge devra rester en quarantaine pendant dix jours et se faire tester après 7 jours.


Dimanche 13 décembre :

Comme la petite Josette des fabulettes d’Anne Sylvestre, tu n’en fais qu’à ta tête.

Pendant ma balade, je me suis fait coincer dans une chasse non signalée. Charmants, les chasseurs m’ont laissée continuer mon chemin, j’avais plus peur d’un sanglier blessé déboulant d’un fourré que de leurs fusils.


Lundi 14 décembre :

L’Allemagne a perdu le contrôle du virus. Le confinement léger (fermeture des restaurants, des activités culturelles et sportives ) décrété début novembre n’a pas empêché l’explosion des infections qui dépasse de quatre fois le pic de la première vague. Le pays durcit le ton pour les fêtes de fin d’année.


Béatrice Delvaux dont j’apprécie la plume a écrit dans son édito matinal:

Un cartoon du Washington Post résumait cette « facture » du covid en trois dessins : 1) 7 décembre 1941, l’attaque de Pearl Harbor, ‹ un jour qui sera entaché d’infamie ; 2) 11 septembre 2001, l’attaque des Twin Towers, 2997 morts : « le jour le plus noir de l’Amérique » ; 3) 9 décembre 2020, le covid, 3.124 morts : « juste un autre mercredi… »


Mercredi 16 décembre :

Les Pays-Bas vont également durcir les règles, les magasins non essentiels et les restaurants devront fermer. Dés lors, les Belges redoutent que comme les Allemands, les Néerlandais ne viennent faire leurs courses en Belgique. Le mois dernier, quand les commerces étaient fermés chez nous, les Belges ne se gênaient pas pour passer la frontière afin de faire du shopping à Maastricht ou aller dans les restaurants luxembourgeois.

Suite à la multiplication des soirées privées organisées clandestinement, l’état fédéral fait passer l’amende de 250,00 à 750,00€ pour les participants et de 750,00 à 4.000,00€ pour les organisateurs. Le matériel et les voitures des contrevenants pourront également être saisis.


Jeudi 17 décembre :

Cette semaine, ton jour de visite a changé. C’est aujourd’hui que tu nous as fait le plaisir de venir. Quel bonheur de te voir courir dans les bois, les flaques d’eau et de boue dans lesquelles tu t’étales de tout ton long.

Nous croisons une dame qui demande à son chien de ne pas sauter et de nous dire bonjour calmement. Tu le prends pour toi et tu lui dis: « Bonjour ».

Je viens de recevoir la taxe communale sur l’hébergement des touristes. Elle est diminuée de 25%. les propriétaires de grands gîtes la trouveront excessive, eux qui n’ont pu accueillir aucun client cette année.


Vendredi 18 décembre:

Je viens de récupérer mon vélo qui était en réparation. J’ai l’impression d’enfourcher une Ferrari!

Le temps est froid et venteux mais le soleil bas d’hiver atteint le fond de la rétine et réchauffe l’intérieur de mon corps. Quel bien-être! Pendant ce temps, Didier coupe du bois avec Félix.

Ce soir, apéro avec un couple d’amis autour du brasero. Nous restons à quatre dehors et profitons de ces moments devenus trop rares. Pas question cependant pour ma copine de rentrer faire pipi! Ce serait aller à l’encontre des règles édictées par le gouvernement.

En Suède, la structure sociale, différente de la nôtre avait retardé l’évolution de la pandémie. A présent, le pays est submergé par la deuxième vague et recommande le port du masque dans les transports en commun, des tablées de maximum quatre personnes dans les restaurants et une limitation des clients dans les magasins.

Certains espéraient que le comité de concertation du jour allait alléger les mesures et permettre aux coiffeurs et métiers de contact de reprendre leurs activités avant Noël mais ce ne sera pas le cas.


Samedi 19 décembre:

Les jumeaux ont aujourd’hui douze ans. Lucie est chez sa cousine chérie que tu appelles « ma petite Paloche ». Hier après-midi, elle a été l’attendre à la sortie de l’école puis elles sont parties dans le centre de Liège boire un bubble tea et retrouver des copains. Félix est la traque. Cette année, nous ne pourrons nous empiffrer des choux à la crème que leur grand-mère maternelle prépare pour leur anniversaire.

Nous venons de participer au mariage de Luis et Kimi qui se faisait en petit comité dans les Llanos au Vénézuela. Les invités assistaient à la cérémonie via l’application Zoom. Ils venaient d’Irlande, d’Espagne, du Chili ou comme nous, de Belgique. La fête aura lieu l’année prochaine. J’espère que le Covid nous permettra d’y aller.


Dimanche 20 décembre:

Ma petite balade vélo m’emmène à Durbuy, constater que les touristes sont présents: une quinzaine de camping cars, de nombreuses personnes en balade, des parkings remplis mais sans les excès habituels et des petits bars extérieurs ou les badauds font la file pour un vin chaud ou une bière de Noël, les restaurants restant fermés comme la loi l’ordonne.


Lundi 21 décembre:

Une nouvelle souche du Covid vient d’être découverte au Royaume-Uni, elle serait plus dangereuse car plus contagieuse. Plusieurs pays européens comme la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Irlande et les Pays-Bas ont suspendu leurs liaisons aériennes et ferroviaires pour minimum vingt-quatre heures.


Mardi 22 décembre:

Ce matin j’ai annulé une visite de contrôle pour la prolongation du label « Clé Verte » que j’avais obtenu en début d’année. Ce label prouve notre engagement pour la protection de l’environnement mais les deux heures de contrôle annoncées m’agace. En cette période où nos libertés sont rabotées et terriblement surveillées, je n’en ai vraiment pas envie. Tout ce que nous avons mis en place depuis des années - station d’épuration, citerne d’eau de pluie pour l’utilisation du lave-linge et des les toilettes, panneaux voltaïques et panneaux solaires pour l’électricité et l’eau chaude, produits bio locaux, location gratuite de vélos - nous l’avons fait en bon père de famille car nous croyons que l’investissement de chacun est ce qui fera bouger le monde et changera nos vieilles habitudes. Je préfère ne pas devoir me justifier et me passer de cette appellation.

Il pleut comme vache qui pisse, cela ne t’empêche nullement de jouer au jardin, de ramasser les fleurs d’hortensias qui jonchent le sol et de tartiner mes vitres avec ses pinceaux improvisés. Dire que si mes enfants et petits-enfants avaient fait la même bétise, je les aurais grondés!

Hier, les premières vaccinations symboliques ont commencé dans une maison de repos de chaque région. C’est un peu une répétition générale car le vrai départ ne sera donné qu’à partir du cinq janvier.


Jeudi 24 décembre:

L’Aisne gronde au fond du jardin. Il est tombé cent litres d’eau par mètre carré sur les dernières quarante huit heures. La température diminue et sur les hauteurs d’Hoursinne, il commence à neigeoter. J’ai passé ma journée sur la route à livrer des fleurs pour Emilie. Il y a peu de circulation, quelques combis de police et des files de parapluie devant les boulangeries. Ce soir, Mamy épaulée par son cercle d’amies, ira à la messe. Seules quinze personnes sont admises par office. Elle a réussi à en être.

Chaque année, nos filles vont réveillonner chez leurs beau-parents et nous, chez Pierre ou chez des amis. Cette fois, nous resterons en amoureux. Demain, seule, Emilie et sa famille viendront à la maison ou plutôt au jardin car nous ne pouvons recevoir qu’une personne à l’intérieur. Nous ferons une plancha de Noël sous l’abri de jardin. Géraldine préfère respecter les règles et viendra samedi, pour se balader avec nous deux.

Voilà des semaines que la fête familiale de Noël sème la polémique mais comme les Musulmans et les Juifs qui ont vécu la fin du Ramadan et la fête de Hanouka dans les mêmes conditions, nous resteront confinés.


Du Huffingtonpost: Après une suspension pendant 48 heures des liaisons entre la France et le Royaume-Uni, en raison des inquiétudes autour d’une variation du Covid-19, les gouvernements des deux pays ont trouvé un accord mardi soir, permettant aux chauffeurs de poids lourds bloqués au Royaume-Uni de quitter le pays, moyennant un test de dépistage du Covid-19 rapide au départ.

Selon les autorités britanniques, il y avait mercredi 3800 camions bloqués à Manston, près de Douvres (au sud-est de l’Angleterre), et près de 1250 ailleurs dans la zone portuaire.


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