Aisne, le matin du 15 juillet, l'eau a commencé à se retirer!
Mercredi 14 juillet:
Ce soir, nous avons invité Maurice, notre voisin, pour fêter ses 80 ans.
À 18:00, Je termine une réunion à Barvaux et Didier me téléphone :
« Que fais-tu? Maurice est là! »
À 18:45, il me rappelle : « Vite, vite, l’eau arrive à l’intérieur! »
J’étais déjà en route pour rentrer à la maison. J’accélère, passe le pont du Thier
et constate que la rue du village est déjà sous eau. Je fais marche arrière, me gare
en hauteur contre le talus et descends comme une folle, remontant le courant
jusqu’à la porte d’entrée. Maurice m’attend dans la cuisine, le verre de rhum-gingembre
à la main, les mocassins prenant l’eau.
- Je pense, dit-il, qu’il vaudrait mieux remettre ça à plus tard,
je lui réponds sur le même ton flegmatique que c’est une bonne idée.
J’appelle mon frère qui m’aide à monter les meubles sur les tables.
Dans l’eau jusqu’à la taille, Didier ramène les vélos du garage situé au bord de la rivière
et trempés, nous les montons dans la partie la plus haute du rez-de-chaussée
qui en compte trois.
Il retourne à l’arrière sauver ce qui peut encore l’être - c’est trop tard pour sa moto
dont le tableau de bord s’illumine sous l’eau, subitement touché aux genoux
par une bâche qui le percute violemment, il tombe en arrière, tête dans l’eau,
se redresse difficilement et tente en s’agrippant aux murs de monter les quatre escaliers qui donnent sur la porte du pigeonnier. Il frappe mais je ne l’entends pas.
Quand je le découvre, il tremble comme une feuille. Je l’envoie se doucher
mais l’eau est déjà froide. Il se glisse sous la couette et je commence à le masser
pour le réchauffer, sans beaucoup de résultats. Il est sous le choc!
Devant l’eau qui nous envahit, il n’y rien à faire. Je descends dans la cuisine inondée, prends quelques biscuits, des fruits et monte sur la mezzanine. Je suis aux premières loges pour surveiller le spectacle mais il n’y a plus d’électricité pour éclairer le décor.
L’Aisne encercle la maison. Les flots qui grondent sous les fenêtres font un bruit d’enfer.
Notre stock de bois, vingt stères, a été emporté par le torrent et les bûches du voisin viennent cogner contre la véranda noyée sous un mètre d’eau.
Jeudi matin, les marches qui descendent vers la véranda sont sous eau.
Jeudi 15 juillet :
02.00 Dans le faisceau diffus de la lampe de poche, l’eau semble stationner.
07.00 Nous n’avons aucune envie de sortir de la chaleur de la couette dans laquelle
nous avons sombré quelques heures. La ligne blanche de la route réapparaît
et dans la maison, le niveau à baissé de 30 cm. La pluie recommence.
09.00 Une odeur de mazout caresse les narines des habitants du village
qui sont tous dans la rue commentant les dégâts et attendant que l'eau se dégage.
Une poule de Jojo est perchée sur un tonneau, le reste de son jardin et les hangars
sont partis.
Allo, me dit Pascale, on a retrouvé Roland.... vivant. Il essayait d'arrimer son écurie
au tracteur, les trois ont été emportés!
Roland a réussi après plusieurs tentatives à s'accrocher à un arbre.
Les pompiers devant la violence des flots avaient baissé les bras
le croyant submergé mais Mathieu, son fils l'entendant siffler a insisté
pour que les services de secours reviennent. Il est sauf, choqué et à l’hôpital
en observation.
11.40. L'eau descend lentement. Je viens d'annuler toutes mes réservations
jusqu'à la fin du mois de juillet. Je reçois plein de messages de sympathie
de la famille, des clients, des amis.
"Chez tante Alice" maison d'hôtes au bord de la rivière!
C'est plus loin vers la vallée de l'Ourthe et de la Meuse que la situation est apocalyptique
et le pire risque encore d'arriver à Liege ou toute l'eau qui court comme un torrent
à l'arrière de la maison doit encore se déverser. Avant cette crue, le débit maximal
de l’Aisne était de 75m3/sec., pour l’instant, il est de 140m3/ sec. Il est tombé
en deux jours l’équivalent de deux mois de pluie. À Liege, ce soir, ce sont
2200 m3/sec.,10 fois plus que d’habitude.
Aisne - le long du moulin.
Comme dans un scénario de science-fiction, Manuel est rentré d’Angleur vers Liège
en passant par les voies de chemin de fer - le trafic ferroviaire est à l’arrêt - c’était la seule façon de passer le fleuve.
Nous raclons la boue de la cuisine, inondée sur 40cm, vers la véranda située trois marches plus bas. Là, il y en avait un mètre. Mes murs de pisé ont fondus comme
de la crème glacée. Le sol est couvert d’argile.
20:00 Nous montons prendre notre douche et manger chez Pierre. Nous avons
de l’électricité mais plus de chauffage.
23.30 Je me glisse sous la couette après avoir fermé la fenêtre car l'eau vrombit
encore au fond du jardin et ce bruit d'habitude si familier m’effraie.
Vendredi 16 juillet :
Ce matin la rivière a retrouvé son lit nous laissant pantois devant le carnage.
Le coq de Jojo déambule dans les gravats, le bec au sol, picorant de-ci de-là.
Le petit chat sauvage qui venait parfois se nourrir à la maison, miaule, sale, affamé, perturbé. Les moineaux du lilas volètent et se perchent sur les déchets.
Un geai, étranger à notre biotope atterrit dans l’hécatombe du jardin, les beaux bacs
à légumes dont Didier était si fier sont allés à vau-l’eau. Terrible paradoxe, cette dernière est cependant bienvenue pour récurer. C’est une symphonie de pompes et de Kärcher.
Il y a une belle solidarité, les gens arrivent avec leur raclette, leur seau, leurs bottes et se proposent pour nettoyer, chacun suivant ces capacités.
Chez nous, Poisson, Marius, Guido, Françoise, Henri, Guillaume étaient présents (Poisson avec ses waders - c’est l’avantage d’avoir un copain pêcheur, il a le matériel aquatique adéquat). Comme nous avons été les premiers touchés, nous sommes les premiers servis mais beaucoup d’autres attendent la décrue pour se mettre au travail comme
dans la vallée de la Vesdre où de nombreuses maisons ont été englouties par les flots.
À certains endroits, l’eau est montée de deux mètres. Il y aurait une vingtaine de morts
et autant de disparus.
Dans l’après-midi, les jeunes passent d’une maison à l’autre distribuer les soupes surgelées de Jeannine dont le congélateur noyé a rendu l’âme. André, son mari,
cultive un magnifique jardin. Nous en profitons pour partager nos impressions.
Le réseau téléphonique fonctionne à nouveau.
À 18:00 Déprimée moralement et physiquement devant la tâche, je laisse tomber seaux
et torchons et descends à Bomal, constater les dégâts et remonter le moral d’Emilie.
Ses caves, la serre de 30m2 et le hangar où elle a tout le stock du magasin étaient inondés. Tout le long de la vallée, c’est le carnage, le mur du château a écrasé les voitures. La rue du Vinâve est explosée comme après un bombardement. Il n’y a plus
de tarmac, les tuyaux sont apparents, le mur et le jardin d’Olivier et Nadia s’est effondré dans la rivière.
Bomal - la rue du Vinâve.
Bomal - Chez Olivier et Nadia. Le mur et une partie du jardin sont effondrés.
Des voitures ont été emportées comme fétus de paille.
Bomal - la voiture de Gérard qu'il essayait de retenir
avec une corde à tournoyé dans la cour
avant de partir s'échouer cinquante mètres plus loin.
Dans sa maison, Pauline avait de l’eau jusqu’à la racine des cheveux. Bon, elle n’est
pas très grande mais quand même! L’amoncellement de détritus devant les maisons
est en rapport avec la hauteur de l’eau qui les a envahies. Une odeur persistante de mazout me caresse le nez. C’est apocalyptique!
20:30, Roland remonte le village à vélo, le dos vouté et l’air fatigué mais le sourire
du rescapé aux lèvres. Il nous narre son aventure. Sans la persévérance de son fils
qui a insisté auprès des pompiers pour qu’ils reviennent une deuxième fois
pour le sauver, il serait mort. Didier pleure en le serrant dans ses bras.
21:00 Je monte chez Pierre et Nadine pour une douche bien nécessaire.
Nous y rejoignons Christian et Hélène dont le cabinet dentaire a été englouti.
Une soirée de rescapés où nous avons porté des toasts à la vie et à la solidarité.
Je reçois de nombreux appels téléphoniques pour nous aider. Très polis, nous refusons, surtout quand les amis viennent d’Ath ou d’Arlon!
Je ne comprends pas que les autorités n’aient pas pris conscience plus tôt de la gravité
des inondations. Quand le mercredi, l’Aisne sort de son lit, nous savons que la vallée
de l’Ourthe subira la violence des flots vingt quatre heures plus tard.
Maintenant, ce sont les Pays-Bas qui reçoivent l’eau des Belges, les digues menacent. Cependant, c’est en Allemagne que le pire est arrivé avec des effondrements de maisons, de routes et des ponts arrachés. Les morts s'y comptent par dizaine.
Samedi 17 juillet:
3:00 Il m’est impossible de dormir, moi, le gros loir, les idées se bousculent dans ma tête, Envie d’écrire pour ne rien oublier, de pleurer.
5:15 le jour se lève; comme tous les matins, je soulève un pan du rideau, l’Aisne bien sage
a retrouvé son lit, moi, je quitte le mien. La chambre sent le sommeil, nous avons dormi fenêtre fermée pour ne pas entendre le bruit de l’eau. La maison, elle, pue l’humidité.
Je regarde les infos et constate la désolation dans toute la région.
6:30 Je vais prendre quelques photos et divaguer dans le village.
7:00 Maria a déjà rouvert la boulangerie même si l’atelier est inutilisable. Les pains
sont livrés par un autre boulanger. J’achète des croissants et petits pains et sonne
chez les voisins pour leur dire que le déjeuner est prêt, leur cuisine a été noyée sous 1m50 d’eau. On partage notre repas sur un coin de table.
Les gens arrivent de partout pour nous aider, même ceux d’Ath et d’Arlon, trois jeunes
du village sont dans notre cave, charriant les seaux de boue. Nous sommes tous crasseux comme des forçats.
C’est une première, je n’avais encore jamais nettoyé l’intérieur de ma maison au tuyau d’arrosage. Dans le tiroir du vieux buffet que je n’arrive pas à ouvrir, le bois étant gonflé, trainaient quelques sachets de graines de haricots, j’espère qu’ils ne vont pas germer
et envahir la maison! Ce serait le remake de Jack et le haricot magique!
Je reçois des messages de sympathie de Suisse, des Etats-Unis, du Canada, d’Iran,
du Vénézuela et d’ailleurs. La catastrophe a fait le tour du monde des actualités.
Nous dormons la porte ouverte, le bois imbibé d’eau ne permet plus de la fermer.
À certains endroits, des rôdeurs profitent de la situation pour voler.
Nous avons tout sorti de la maison : meubles et boue. Sur la journée, le village a rempli quatre containers de 30 M2.
Les ferrailleurs passent et repassent inlassablement.
chargeant tout l’électroménager dévasté.
Emilie si déprimée ce matin, a été aidée par une vingtaine de bénévoles, le tamtam
de Facebook que d’habitude, je n’apprécie pas, a été d’une redoutable efficacité.
Elle m’envoie un message comme quoi ils terminent la journée de nettoyage
et partent plonger avec ceux qui restent dans la piscine de Michel.
Ah, les plaisirs de l’eau!
Dimanche 18 juillet:
Aujourd’hui les hommes vont s’attaquer à l’abri de jardin et moi je vais trier tout le bazar de la cave.
L’aide afflue de partout. À Bomal, le bourgmestre de Bastogne est venu avec les camions
et les ouvriers communaux. Ce désastre a vraiment resserré les liens sociaux distendus
par la pandémie.
Bomal - le pont de chez Alvarez.
Lundi 7:00
Le sommeil est toujours difficile, pourtant la fatigue est là. Est-ce la conscience
de la situation par laquelle nous sommes passée? Hier, nous avions encore une dizaine
de bénévoles pour nous aider. Comment aurions-nous fait sans eux?
Hier, le comité des fêtes a offert un pain saucisse à tout le village, puis le glacier
a distribué des glaces et d’autres, des crêpes. Nous nous sentons soutenus
par toute cette solidarité.
Le matin, en lisant le journal, découvrant la tragédie dans la région, les larmes arrivent. Emilie pleure aussi, découragée. Pourtant, plus de quarante personnes sont venues l’aider. Ce matin, j’ai même vu passer un camion de la ville de Thuin, c’est dire
que la solidarité a été nationale et même internationale puisque des sauveteurs
sont venus de France et d’ailleurs.
Olivier a perdu la seule ruche qui lui restait et les fourmis envahissent la maison sans aucune logique. À Juzaine, Chris avait fait monter son lama et son poney au deuxième étage, les sauvant des flots déchainés. À Angleur, les hérissons qui nichent dans la cave de Claire sont montés jusqu’à la cuisine.
Dans la ruelle un peu plus haut, Jeannot qui pour une fois a été épargné par les coulées
de boue qui dévalent de Villers par temps d’orage, tond sa pelouse. La vie continue!
Aujourd’hui, le bénévolat du weekend s’est tari, nous avons été les premiers inondés
et les premiers secourus et il y en a encore tellement à aider. Didier s’occupe de l’assurance, listant les biens perdus et abimés. L’expert est déjà passé ce matin,
il avait quatre feuilles de sinistrés à visiter et cela pour un seul courtier et une seule compagnie d’assurances.
Il va verser une provision sur notre compte. Didier a déjà recommandé, aspirateur,
lave-vaisselle et déshumidificateur. Comme le soleil luit depuis plusieurs jours,
les portes et fenêtres sont grandes ouvertes pour aérer et chasser cette affreuse odeur d’humidité. Les mouches en profitent pour nous rendre visite. Je descends prendre
ma douche chez Emilie et reste manger chez elle. À Bomal, la rue du Vinâve est déjà comblée et les voisins ont installé en son centre une table où ils se retrouvent tous
pour manger.
La décharge sur le parking du presbytère ne désemplit pas. Emilie trouve
que cela sent comme au Guatemala où les déchets trainent dans les rues.
Mardi 20 juillet:
7:30 Ma main endormie et les ouvriers qui curent la bouche d’égout me réveillent.
8:00 Un Merlo de la commune dégage les déchets d’inondation qui encombrent l’avant
des maisons. L’eau passait devant et derrière la nôtre. Nos portes ont résisté.
Ce n’est pas le cas chez la voisine où la porte-fenêtre a explosé.
Dans toutes les réponses aux messages de sympathie qu'il reçoit, Didier parle de la perte de sa moto submergée par l’inondation. Aujourd'hui, Il est heureux car via Facebook,
il a reçu plusieurs propositions pour l’aider à la nettoyer.
Le pont de chez Marijke s’est affaissé de 50 cm, celui du Thier du pont est également fermé. Il nous en reste un sur trois pour relier Heyd.
Le nouveau lave-vaisselle est déjà livré et mis en place quand un camion arrive de Waterloo avec seaux, raclettes, torchons, produits d’entretien, sandwiches, tartes, langes pour enfant etc, etc, etc Didier en a les larmes aux yeux.
Comme une sinistrée que je suis, je prends seaux, raclettes et gants. J’en profite
pour demander à Jean-Marie, mon voisin, s’ils ont déjà vidé la maison. Non, dit-il,
j’attends l’expert!
Ni une, ni deux, nous prenons nos nouveaux seaux et raclettes et partons nettoyer chez lui. Quelques heures, à genoux sous la télé qui transmet « Affaire conclue » leur donnent l’impulsion pour continuer et s’atteler à la tâche, eux qui quelques jours plus tôt, avaient refusé l’aide des jeunes. Bref, j’ai encore terminé la journée avec des pieds comme
des Mozzarellas.
Tous les soirs, nous prenons une douche chez l’un ou l’autre, tous les soirs nous sommes invités à souper, tous les soirs, nous rentrons à minuit et tous les matins, nous sommes épuisés, déprimés devant ce qui reste à faire et tous les matins, je prends un antidouleur pour contrer les douleurs physiques de cet épuisant travail.
Mercredi 21 juillet
J’ai un genou comme un melon de Cavaillon aussi je m’octroie un petit repos.
J’espère que toutes les génuflexions de ces derniers jours m’octroieront le paradis.
Géraldine, après nous avoir bien aidé ce weekend, est partie donner un coup de main dans le quartier de Quincampoix. Une vieille dame isolée, sans famille, assise éplorée
sur une chaise, la regardera évacuer la boue de sa maison.
Jeudi 22 juillet:
Nous avons passé cette nuit dans des draps de lit fraichement lavés. Hier, un chauffagiste bénévole qui faisait partie d’une équipe de neufs personnes venue de Bouillon, a fait le tour du village pour réparer ce qui était possible. Chez nous, il a connecté le circulateur aux panneaux solaires mais le système a cédé ce matin et nous sommes de nouveau sans eau chaude. Il n’a pas trouvé beaucoup de travail de réparation dans le village car les chaudières sont toutes hors service et plus grave, de nombreuses citernes sont parties avec le courant de la rivière, polluant tout l’aval de la vallée.
À Bomal, Emilie a constaté de nombreuses flaques d’hydrocarbures dans son potager.
Après une bonne douche froide, nous partons souper chez Géraldine à Liège, le tunnel
de Cointe a été submergé et restera fermé pendant plusieurs semaines. Les pompiers
sont encore affairés dans les rues d’Angleur et le long des quais mais nous traversons
la Meuse sans trop de difficulté. Quel plaisir de vous revoir, de vous serrer dans les bras. Cosimo, tu es en super forme, tu creuses des canaux dans la terre et parle d’inondation mais c’est plutôt dans ton lange bien lesté que l’humidité stagne.
J’ai eu droit à mon lot de baisers-limace, ceux que tu donnes en léchant ma joue.
Un autre Didier est venu charger la moto de mon Didier pour la nettoyer et tenter
de la réparer.
Vendredi 23 juillet:
Hier, c’était la terrasse que je passais au Karcher , aujourd’hui, c’est le jardin. Vendredi,
cinq bénévoles l’avaient vidé, remplissant un container de planches, pneus, bonbonnes
de gaz et autres détritus qui le jonchaient. La raclette est remplacée par le râteau
et le sécateur. Je coupe toutes mes belles plantes au ras du sol. Quelques fleurs jaunes pointent déjà au milieu des tiges couchées et des feuilles boueuses. Je sens que la nature reprend ses droits.
Le tilleul d’Alice dont les branches tombaient jusque parterre, a été noyé sous 1m50 d’eau. Didier l’a retaillé, on dirait qu’il sort de chez le coiffeur! Afin de re-colorer l’extérieur,
Emilie m’a apporté toutes ses plantes invendues. J’en ai rempli mes pots rescapés
et en pose sur la terre mise à nu.
À Durbuy, le restaurant que nous avions réservé pour l’anniversaire de Didier est déjà réouvert. Un mètre d’eau, trente bénévoles par jour et les voilà déjà prêts à nous recevoir. Mais dans la vieille ville touristique, beaucoup de devantures sont en berne et le resteront encore pendant les semaines à venir.
Le chauffagiste vient de nous placer un chauffe-eau électrique. Dix jours après
la catastrophe, nous reprenons presqu’une vie normale.
Si l’inondation du village a été inédite et terriblement spectaculaire, elle a été moins tragique que dans la province de Liège où l’on dénombre une quarantaine de tués,
six disparus et dix mille personnes à reloger. Dans la vallée de la Vesdre, des quartiers entiers devront être rasés
Samedi 24 juillet:
Didier et Thierry dégagent à la tronçonneuse les abords de la rivière. Les arbres sont arrachés, couchés, las bacs à légumes ont été emportés par le courant et remplacés
par des monceaux de pierres. La belle rive bucolique avec son petit banc de bois,
ses lilas et l’escalier ancestral descendant vers la rivière ont disparus, ne laissant
qu’un champ de guerre.
La pluie tombe depuis le matin. Comme en plein hiver, Didier a allumé un feu de bois
dans l’âtre. La maison est tellement humide.
Dimanche 25 juillet
C’est l’anniversaire de Didier et nous avons décidé de ne rien faire de la journée.
Les seaux et les torchons resteront sur la plancha. Les filles nous invitent au resto.
Nous n'aurons jamais autant été manger à l'extérieur de la maison!
Lundi 26 juillet:
J’ai prolongé mon arrêt d’activité de ma maison d'hôtes jusqu’au 12 août. Il y a encore tellement a nettoyer et je n’ai pas la force de recevoir des hôtes.
Le service d’enlèvement des déchets a repris ce matin. Les inondations en ont généré
un million et demi de tonnes, l’équivalent de neuf mois en Région Wallonne.
En fin d’après-midi, sept guides bruxelloises demandent pour se mettre à l’abri
de la pluie. Je les reçois dégoulinantes dans la cuisine qui ces jours-ci a vu bien pire!
Elles sont amusantes, elles ont toutes quelqu’un qui connait quelqu’un qui a été inondé.
Un peu comme moi qui ai reçu une hôte japonaise qui avait serré la main de Rafaël Nadal!
Mardi 27 juillet:
Nous nettoyons la chapelle adjacente à notre maison avec les pionniers de Marcinelle
qui dimanche avaient glissé un billet proposant leurs services sous les portes
de tous les villageois.
Nous ne sommes pas trop de douze pour sortir les Saints de la boue, les soutanes
sont souillées, l’assisse des chaises gondolée et les missels des blocs de papier compact.
Est-ce un miracle? Nous avons retrouvé le chapelet brun de Simone enfoui
dans un coin boueux.
Saint Donat, titulaire de la chapelle d'Aisne, n'en revient toujours pas!
La douzaine de scouts sales et poussiéreux a ensuite accepté mon offre d’une douche chaude et salutaire pour remplacer leur bain habituel dans la rivière. L’un des leurs,
nous a raconté que pendant les inondations à Aiseaux-Presles, il avait quitté sa maison, noyée sous 2m50, par la fenêtre de sa chambre pour être évacué en canot.
Depuis qu'il est parti au camp, il n’a pas encore revu son habitation!
Cette sympathique journée, terminée autour d'un verre avec une bande de zèbres
- ben oui, ce sont des Carolos - nous a encore prouvé que tous ces évènements
ont généré de riches et belles rencontres.
Depuis son retour de vacances, Guy, qui d’habitude réside dans la ruelle de l’école,
vit dans son mobilhome au bord de celle qui a détruit son rez-de-chaussée.
Moi qui décrivait toujours l’Aisne comme une adolescente impétueuse, je vais revoir
ma copie. Elle est devenue une terroriste, détruisant son patrimoine comme le ferait
un Taliban.
Je viens de publier ce journal. Les réactions sont multiples : de purgatives pour ceux
qui les ont subies et pleurent à sa lecture, à sidérées par l’ampleur du désastre.
D'autres en vacances en ce mois de juillet, avouent un sentiment de culpabilité d'avoir
été si loin et si impuissants.
Mercredi 28 juillet:
Le camion de Waterloo est revenu avec de l’électro et quelques meubles.
De quoi dépanner quelques familles.
Jeudi 29 juillet:
Encore un scout fraichement totemisé proposant ses services! Chez nous, ce qui reste
à faire est du tri et c'est de notre ressort. Didier l'envoie nettoyer les abords de la rivière. Nous rentrons tout doucement dans nos habitudes et notre intimité. Pour d'autres,
il faudra des mois! 202 communes wallonnes sur 262 ont été touchées par les inondations et la reconstruction sera un terrible défi.
Les grands feux de fin d’hiver qui avaient cessé pendant la pandémie ont changé
de saison, ils brûlent à présent dans les prés où l’on ramasse tous les déchets de bois
qui trainent près des rives.
Samedi 31 juillet:
Ce matin, Pascale nous a apporté quelques bûches dont elle avait rempli le coffre
de sa voiture, Raphaël devait en déplacer un tas qu’il a déversé chez nous.
Un groupe de jeunes Anversois vient d’arriver pour nous aider. Et moi, comme
une duchesse, je trône dans mon fauteuil, devant le feu qui crépite dans l’âtre,
un Erri De Luca dans la main, clouée par une douloureuse tendinite à la jambe.
Toutes les génuflexions de ces derniers jours, ne m’ont amené que l’enfer!
Au début des inondations, nous évacuions notre tension par l’humour, à présent
c’est de repos dont le corps a besoin.
Dimanche 1er août:
Le sujet du Covid a largement été supplanté par celui des inondations qui squatte
toutes nos conversations. Les anecdotes affluent encore et encore, de la bibliothèque
où les collections de BD ont été enlevées à la tronçonneuse - la scie et le marteau n’arrivant pas à entamer ce bloc compact de papier - à l’invitation reçue par Roland
et Cécile à passer deux nuits dans un hôtel à 4km d’ici. Ce cadeau assez cocasse
étant offert par un touriste qui préférait céder son weekend à des gens fatigués et éprouvés plutôt que de venir se délasser dans une région sinistrée.
Didier a enfin réussi à ouvrir le tiroir avec les graines de haricot. Quelle puanteur!
Marijke qui habite à l’entrée du village, a quitté sa maison et décidé de la vendre telle quelle. Son petit gite dans l’ancien fourni, sa piscine naturelle, l’appenti vitré du jardin,
le rez-de-chaussée, tout a été chamboulé comme un jeu de domino sous un seau d’eau.
Elle résidait à l'aval du village où se situent les plus anciennes maisons dont le moulin
déjà répertorié au 14ième siècle. Ce mini quartier a certainement été le plus touché.
Dimanche 8 août:
Une semaine de lassitude où aucune envie ne fait surface!
Nous avons convié tous les bénévoles qui nous ont aidé pendant les inondations.
Ils sont agréablement surpris par le travail effectué dans la maison et le jardin.
Vendredi prochain, j’accueillerai à nouveau mes hôtes même si de nombreuses traces témoignent encore de la furie de l'Aisne.
Ce modèle exclusif de Boomerang a été créé par l'Aisne.
Pour notre part, une vie normale a repris mais beaucoup devront encore attendre
une longue et pénible reconstruction.
UN AN APRÈS
Mardi 19 juillet 2022
Après des jours de nettoyage, notre maison a retrouvé son charme
et le jardin resplendit à nouveau. Cette année la rivière est au plus bas,
la canicule s'est installée!
Pour notre part, les déshumidificateurs ont tourné jusqu'en janvier mais certains
les utilisent encore. Beaucoup de mes voisins n'ont pas encore terminé les travaux
de rénovation.
Comme beaucoup de sinistrés, je pense avoir fait une dépression post-traumatique pendant cet hiver.
Un travail de mémoire s'installe. Des stèles de commémoration sont érigées.
Elles reprennent les noms des 39 disparus principalement dans la vallée de la Vesdre.
Ils sont enfin nommés. Aucun hommage ne leur avait encore été rendu.
Cette année, le Roi n'était plus habillé d'un pantalon blanc, couleur qui dénotait
l'été dernièr au milieu des forçats de la boue.
Depuis le mois de juin, le pont du Pahis repose sur le parking en face de la maison.
Il faudra encore un an avant qu'il ne soit replacé. La passerelle du moulin
et le pont de Roland sont toujours manquants.
Les journalistes passent pour des interviews. Nous repassons à la une des infos!
jeudi dernier, le 14 juillet, date des inondations de l'année dernière, nous avions invité Maurice pour son 81ème anniversaire avec le même menu qu'en 2021 : frites et tomates farcies mais il est entré en observation à la clinique et la célébration de son 80ème anniversaire est encore postposée!
Willy et Pascale d'Ath, qui nous avaient si gentiment aidés après les inondations
sont revenus passés un WE. Cette fois en tant qu'amis et non plus comme hôtes.
Voilà un truc pour mes clients : gratuité à vie pour celui qui vient nous aider!
Le village va éditer un livre sur notre communauté et son rapport à la rivière grâce à une bourse octroyée par la Fondation Roi Baudouin. Elle est délivrée à tous les villages impactés par les inondations afin de retisser des liens sociaux.
Si nous sommes rentrés dans nos meubles, il reste encore de nombreuses personnes dans le plus grand désarroi et il faudra encore des années pour retrouver la sérénité dans les vallées impactées par les inondations.
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