
C'est un voyage de trois semaines qui va nous emmener de la Mer Caspienne
à la Mer noire. Nous atterrissons à Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan.
Un pays désertique, à l'ouest de la Mer Caspienne.
Si ce n'est la ville en pleine modernisation, il n'y a pas grand chose à voir.
J'aurais dû m'en douter quand le premier jour nous avions déjà visité trois
des cinq sites majeurs du pays dont de minuscules volcans de boue. Dans une course diabolique, d'antiques tacots nous emmènent découvrir ce phénomène géologique
qui ferait bien rire un Islandais.

Et dans la vieille ville, quelques rares sites au patrimoine de l'UNESCO qui feraient
bien rire un Italien.
Les stations balnéaires sont rares. Aucune charmante petite route ne borde la mer.
Pour la rejoindre, il faut emprunter de petites pistes perpendiculaires à l'autoroute à six bandes nouvellement construite. Les plages sont bien dissimulées, couvertes de petits kiosques. Où que l'on aille, il y a un samovar qui fume et le thé se partage tout comme ce caviar que deux Russes proposent à Didier et qu'ils partagent avec un verre de vodka.

La propriété du nouvel hôtel où nous logeons s'arrête à la bande d'herbes vertes
qui l'entoure, au-delà et sans ligne de partage, commence le terrain vague
qui borde la plage sur laquelle roulent et se garent les voitures, au plus près de l'eau.
Les chiens errants divaguent entre les déchets et les nombreux kiosques. Les petits bars
fait de bric et de broc sont fermés. Nous sommes en septembre et l'air commence à fraîchir.

En soirée, quelques pêcheurs s''installent sur un groupe de rochers isolés.
Un père de famille s'active avec son barbecue, me hèle et me propose de partager leur repas. Plus loin, Didier se fait inviter à partager le thé par un barbu religieux qui refuse
que son visage soit photographié. Allumer le samovar avec le vent n'est pas chose aisée!
Quand les gens que nous rencontrons ne comprennent pas notre sabir, ils nous parlent
en russe ou envoient chercher quelqu'un qui le parle. Cela ne nous empêche pas de faire de belles rencontres.

Nous quittons Bakou pour le Nord, en longeant la Mer Caspienne. Des puits de pétrole pompent et se balancent inlassablement. La plage satinée est drapée de sable
aux reflets dorés, des touffes de statice bleu la parsèment. Le ciel azuré couvre
la mer turquoise qui se jette sur une barre de rochers avant de s'étaler
sur la plage de sable gris.

Dés qu'il y a quelques arbres et un peu de nature, les restaurants champignonnent .
Ce sont des kiosques ouverts ou fermés ou de petites cabanes disseminées
à l'ombre des arbres. En voiture, il faut louvoyer entre les chiens errants, vautrés au soleil,
éviter les vaches et les troupeaux de moutons qui errent en toute liberté.
Le réseau routier est bon et en pleine évolution. Le paysage est ouvert, seulement
quelques grillages autour des vignes, parfois surplombées de miradors.
Nous passons une nuit à Ivanovka, un des rares villages à avoir gardé son style de vie russe. Toutes les maisons sont barricadées sur leur lopin de terre, séparées par de larges rues ou chemins de terre. Les tuyaux du gaz serpentent le long des rues, montant
et descendant, encadrant les portails et les portes. Notre B&B est charmant, désuet
et chaleureux. Les autres le seront moins.
70 km avant Elet, nous constatons que nous sommes quatorze mètres en-dessous du niveau de la mer. Tout le centre du pays est une vaste plaine.
Il n'y a pas de panneaux publicitaires le long des routes mais, à l'entrée des villes,
des photos géantes du président Eliyev et sur toutes les places, des statues monumentales le représentant. De nombreux prospekti portent son nom.

Les maisons sont des blocs de couleur crème. Les toits de fer blanc sont liserés
de jolis pignons repoussés ou ajourés. Le faîte dentelé est surmonté de petites pointes.
Ce sont les seules décorations. Dans la capitale, l'architecture des nouveaux bâtiments
est contemporaine et grandiloquente.

Reflet sur la mer Caspienne.
L'argent du pétrole permet à la capitale de se moderniser.
Le développement du tourisme n'est pas au programme. Au lac Goygol, un vertigineux ascenseur enlaidit le paysage et il n'y a aucun accès aux rives. Il faut dire que l'endroit
se situe à quelques kilomètres de l'Arménie avec qui le pays a de fréquents accrochages.
Nous redescendons au village de Goygol, anciennement appelée Helenendorf.
C'est une ancienne colonie allemande, établie en 1819 par 135 familles souabes
ayant émigré dans le Caucase après avoir descendu le Danube, contourné la mer Noire,
traversé le Don à Rostov, pour venir s’installer à 370 km à l’Ouest de Bakou.
La deuxième génération créa des vignobles qui désaltérèrent pendant des décennies la Russie puis l’URSS. En 1941, Staline, effrayé par cette présence allemande
dans le Caucase, déporta toute la communauté, forte de 25.000 personnes,
vers le Kazakstan et l’Asie centrale. Nous avons visité cette ville allemande avec église, école et caves viticoles où nous n’avons pas pu goûter le vin que nous venions d’acheter dans une petite boutique à l’allure soviétique en façade de la cave Khan alors
qu’autour de nous, flottaient d’agréables arômes de raisins fermentés. Il est vrai que nous étions en pays musulman où la culture du vin n’est pas élevée au rang d’Art comme en Géorgie, pays voisin que nous allions visiter quelques jours plus tard.
Sur l'autoroute, des Lada en veux-tu en voilà : bourrées de gens, de fruits divers,
de superbes grenades ou de melons. La photo que nous dépassons sur la quatre bandes, c'est : la lunette arrière de la Lada, jaune de melons, les flancs bleus du véhicule
et le bras bronzé du conducteur penché sur son volant, poussé dans le dos
par les dizaines de fruits colorés par le soleil couchant.
Nous rejoignons la capitale, où les vieilles femmes brossent inlassablement les caniveaux de leur large balais de branches, afin de prendre le train de nuit pour la Géorgie.
Ce seront douze heures d'un voyage peu reposant, avec une large pause au contrôle
des frontières.

Dés l'arrivée à la gare de Tbilissi, nous louons une voiture et partons vers la Kakhétie.
Nous empruntons une piste de 80 km afin de visiter le monastère de David Gareja,
isolé dans un paysage lunaire.
A cause du manque de sommeil de la nuit précédente et de la route défoncée qui demande toute notre attention, j'arrive épuisée chez Anna à Sinaghi.
C'est une belle chambre dans un bâtiment rénové. Il y a beaucoup plus de touristes
qu'en Azerbaïdjan. Nous venons de quitter un pays musulman pour un pays orthodoxe. Nous visitons de nombreux monastères : Bodbe, Nekresi, isolé au sommet d'un escarpement, Gremi, Alaverdi où nous arrivons le dimanche, à la fin de l'office religieux.
Les chants géorgiens sont superbes et à la sortie, l'évêque bénit chaque tête.
Il y a une ambiance majestueuse dans ces églises qui datent parfois du 5ème siècle
et une incroyable ferveur religieuse.

Puis ce seront encore les monastères de Ikalto et Shuamta avant de rentrer à Telavi
dans notre chambre d'hôtes, située dans une vieille bâtisse traditionnelle avec balcon
de bois où la propriétaire fort âgée et ayant difficile de marcher, nous réserve un accueil mémorable. Nous acceptons un çaï et terminons la soirée devant un vrai repas improvisé pendant lequel sa fille, Maia, nous a rejoint. La conversation se fait par Google translation. Maia baragouine un peu d'allemand, pays qu'elle adore et où vit un de ses amis.
La cuisine géorgienne et riche et savoureuse.
Le lendemain, nous dinons à la Scuchmann Winery où il faut frapper pour pouvoir entrer. L’accueil est très professionnel. Nous y découvrons le vin orange. Depuis sept mille ans,
les Géorgiens vinifient leur vin en les entreposant dans des jarres de terre cuite,
enterrées dans le sol et appelées " qvevris". Cette méthode de vinification donne au vin
cette belle couleur orange.

Maia nous a recommandé une autre Winery où sa belle-soeur travaille.
De nouveau, la barrière est fermée. Le gardien nous regarde passer par une porte latérale, sans nous arrêter. Après quelques minutes, une jeune femme blonde nous aborde
puis dans un anglais impeccable, nous emmène visiter l’usine. Elle est maître de chai
et nous fait déguster à même les énormes citernes.

C’est une véritable ruche, quatre-vingts personnes y travaillent,
ils produisent deux millions de bouteilles dont certaines étiquettes arborent la photo
de Staline, natif de Géorgie. Comme les vendanges battent leur plein, les petits tracteurs,
les vieux camions russes Kamaz et tout ce qui roule font la file devant la balance
avant de déverser les grappes dans le pressoir. La winemaker nous abandonne,
nous laissant divaguer dans l'entreprise et shooter à notre aise.

Aujourd'hui, nous partons pour la Svanetie, sur les hauteurs du Caucase,
à la frontière russe. Comme la vitesse est limitée à 60km/h, que les vaches déambulent
sur la route, les cochons, plus intelligents, préférant les fossés, il nous faudra dix heures pour faire les 560 km jusque Mestia, une petite ville de 3.000 habitants, nichée au coeur
de la montagne.
Le tourisme commence à s'y développer et bouscule l'architecture ancestrale des villages. Un tas de petits bâtiments de planches et de tôles sont érigés de façon anarchique.
Les guesthouses poussent comme des champignons. Les autochtones, aux têtes d'icône
- sourcils noirs bien marqués, nez long et droit - sont très sympas et se débrouillent
en anglais. Le tourisme est une opportunité qu'ils saisissent à pleine main.
Ici, la vie doit être dure avec six mètres de neige en hiver à Mestia et sept mètres
à Ousghouli, le village le plus isolé d'Europe, que nous rejoignons après 45 km de piste dont dix tracés dans les plis verticaux du schiste, roulant en première ou en deuxième.
La montagne est splendide, les arbres commencent à prendre leurs couleurs d'automne, les sommets enneigés de la plus haute chaîne d'Europe nous encerclent. Notre chauffeur se signe à chaque croix, qui nombreuses jalonnent cette piste difficile. De fréquentes petites niches, garnies de bouteilles vides bordent la route. Les villages possèdent de hautes tours de défense, vieilles de plus de mille ans.
Il en reste environ deux cents. C'est ce particularisme qui caractérise la région.

Après trois jours, nous quittons la montagne pour la côte de la Mer Noire.
Il nous faut six heures pour rejoindre Batumi. Plus nous nous rapprochons de la frontière turque et plus les mosquées apparaissent dans le paysage. En ville, la vue de notre chambre donne sur trois immeubles en déliquescence, un turquoise , un vert, un bleu.
Á l'arrière, accoudée au ciel, la Batumi Tower, irradiée de rouge quand vient la nuit,
en totale dissonance avec les HLM de l'ère soviétique qui la précèdent.

La ville est magnifique avec ses petites rues bordées de vieilles maisons à balcon de fer.
Un boulevard de six kilomètres de long, construit en 1884, se déroule le long du rivage, longé par une magnifique plage de galets, arpenté par de nombreux touristes dont
beaucoup d'habitants des Emirats. Il y a de l'animation, des kiosques, des bars
et de nombreux restaurants. Á une des extrémités, trône la sculpture mobile de Nino et Ali, se croisant et s'embrassant sans relâche.

Batumi est la capitale de l'Adjarie, république autonome faisant partie de la république
de la Géorgie. Les Turcs y investissent en masse dans l'espoir de récupérer cette ancienne partie de l'empire Ottoman.
Après l'Abhkazie et l'Ossetie du sud, Tbilissi pourrait bien perdre cette région.
Pour rejoindre le site de Vardzia, un monastère-forteresse troglodyte du 12ième siècle,
nous délaissons l'autoroute pour le réseau secondaire. C'est une très mauvaise idée,
la route est bonne jusque Khulo, ensuite, c'est une piste ravinée par le terrible orage
qui se déchaîne au-dessus de nous. Toute notre attention est concentrée sur les nids
de poule, les ornières, les pierres et les torrents qui dévalent de la montagne.
Il nous faut quatre heures pour parcourir 120 km. Au-delà de la Pass Goderdsi,
apparaissent dans la brume, des arbres aux feuilles jaunes et oranges, des maisons carrées au mur de tôles rouillées, un bel ensemble couleur aubergine. C'est un paysage grandiose qui doit être magnifique sous le soleil.

Nous passerons les deux dernières nuits dans l'appartement de Maia, rencontrée à Telavi.
Ce logement est caché dans les caves d'un colossal bâtiment soviétique et situé
à Tbilissi où nous nous délassons dans le hammam des bains publics N°5, là où la ville
à pris naissance.
Le hammam:
Je descends quelques marches pour atteindre le premier guichet ou je paie quatre laris, plus un autre pour la serviette de bain. Je descends une volée d'escaliers et pars
vers les bains féminins. Un couloir avec deux ou trois bureaux vieillots et des femmes assises sur des chaises en plastique, concentrées sur leur gsm. Des mimiques m'expliquent d'avancer. Ah, je vois de vieux corps nu, c'est par là! Je me déshabille devant
un antique casier métallique. Une mamy décharnée crie que l'on m'amène un cadenas.
Puis me montre la porte du hammam. C'est une pièce de quatre mètres sur quatre,
carrelée de blanc, au plafond voûté, ornée de céramiques colorées et surmontée
d'un oculus. Il fait chaud et humide. Le bruit de l'eau résonne sur les carrelages de cailloux.
L'eau coule d'un tuyau qui fait le tour des trois quarts de la pièce avec une bouche individuelle tous les quatre-vingts centimètres. Je m'installe sous un jet ouvert. Apparemment, il était déjà occupé mais comme je ne sais pas dire en géorgien:
"Qui va à la chasse, perd sa place", je choisis une autre douche. Les corps sont vieux.
Chez l'une, le ventre recouvert par les seins, pend sur les cuisses; chez une autre,
il n'y a plus que les os et des cheveux blancs plaqués sur le crâne; une autre édentée
me regarde, une plus jeune m'apostrophe et voyant que je ne comprends rien,
diminue elle même le volume de ma douche. Il semblerait que je l'ėclabousse!
Peu de regards sympathiques. Après dix minutes, je sors demander un massage.
Une femme plantureuse serrée dans un maillot saumon me fait signe de m'étendre
sur une table de marbre. Le massage est énergique surtout au niveau de mes omoplates
car mon front, posé sur mes mains, les fait remonter en pointe. Je n'ai pas choisi la pose, elle m'a été imposée. Puis, je m'assieds, la tête appuyée contre ses seins.
Par ses gestes musclés, elle dénoue le noeud dans mon cou, occasionné
par trois semaines de périple caucasien.
Je me rince et retourne dans le petit vestiaire, je récupère la serviette de coton,
elle sent l'eau de Javel, parfum rassurant dans cette ambiance authentique de bains publiques. Trois petites vieilles prennent le temps de se rhabiller. Elles ont raison,
le corps à été mis à rude épreuve. Je fais quelques exercices de respiration,
assise, les yeux fermés dos à mon casier, le temps de réguler les battements de mon coeur. Il n y a aucune de salle de repos. Puis, je m'essuie à nouveau car la sudation continue.
Mes voisines ne vont pas plus vite que moi. Elles papotent, toutes chairs à l'air,
le drap sur la tête. Ma masseuse vient me réclamer ses dix laris (3 euros )puis après un petit coup de sèche-cheveux à trois laris, je me retrouve à attendre Didier qui autant que moi à apprécié cette expérience populaire. Lui, ce sont des corps d'hommes qu'il a côtoyé, avec un cordon ombilical qui pend sur quarante centimètres ou une couille grosse comme un poing.
On se sentirait presque beau en sortant de ces bains.
C'est sur cette impression relaxante que nous terminons notre voyage dans le Caucase, destination que nous avions choisie après avoir passé deux jours, l'année dernière,
à Tbilissi, rencontré de nombreux Azeris lors de nos voyages en Iran et surtout lu un article sur les bains de Naftalan qui nous avait interpellé. Cette ville est proche de l'enclave arménienne du Haut-Karabaghg, que l'Azerbaïdjan a récupéré l'année dernière.
La ville inhospitalière avec ses hôtels hyper modernes et la possibilité de faire des cures
de naftanoil pour uniquement une semaine minimum, nous a un peu rebuté.
Une seule plongée dans une baignoire de pétrole nous suffisait, juste pour tester
cette thérapie très prisée de l'ère soviétique.

Tbilissi - pont de la Paix
Comments